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LA PEINE DE MORT ET LES RELIGIONS

La mort de Robert Badinter ce 9 février 2024 met en lumière son engagement pour abolir la peine de mort en France. Nommé ministre de la Justice par François Mitterrand en 1981, il porte le projet de loi, appuyé à l’époque par des sondages allant dans ce sens : 63 % des Français sont contre l’abolition de la peine de mort. Le 17 septembre 1981, à l’Assemblée nationale, 363 députés se prononcent en faveur de l’abolition, 117 contre. Le Sénat plus conservateur, suit, et l’abolition est finalement adoptée. La loi est promulguée le 9 octobre 1981 et en 2007, l’abolition est inscrite dans la Constitution par le Parlement. 
La peine de mort a été un sujet controversé à travers l'histoire, soulevant des débats éthiques, moraux et religieux. Le judaïsme, le christianisme et l'islam ont toutes traité la question de la peine de mort d'une manière ou d'une autre : voici quelques points de culture générale.

JUDAISME

Dans le judaïsme, la peine de mort est abordée dans les textes sacrés tels que la Torah. Le judaïsme préconisait la peine de mort pour divers crimes, considérés comme des offenses graves contre Dieu et la société. Cependant, au fil du temps, la tradition rabbinique a élaboré des critères stricts et des procédures complexes pour l'application de la peine de mort, cherchant à minimiser son utilisation.
De nos jours, il est strictement interdit d’appliquer la peine de mort dans le judaïsme. Cela était possible à l’époque du Beth Hamikdach (lorsque le Temple existait). Le tribunal qui siégait alors près du Temple a quitté Jérusalem et les 23 juges qui le composait ne traitent plus les dossiers relatifs à la peine de mort[1].

Il faut savoir que la peine de mort a été très peu appliquée : les juges cherchaient tous les moyens d’épargner le fauteur du châtiment. Lorsqu’elle l’était, c’était surtout des cas de Skila, de lapidation[2] qui étaient infligés : profanation du Chabbat, homicide volontaire, mœurs[3].
La motivation liée à l’application de la peine de mort était le désir de Justice, très fort dans le judaïsme, qui permettait d’éviter les situations où le vice, celui qui effraie, celui qui est le plus violent, impose ses lois sur terre. Le roi Salomon était par exemple, connu pour son immense sens de la justice. « Un roi grandit [construit] son pays par la justice »[4].

Attention, la peine de mort s’appliquait uniquement dans une décision du tribunal, et il fallait que le transgresseur soit vu commettant la faute par deux témoins. Ces derniers doivent l'avertir et lui annoncer ce qu'il risque d'une manière très détaillée. S'il est certain que le fauteur a bien écouté l’avertissement et qu'il répond : « Oui, je sais mais je veux, tout de même, transgresser la faute », alors, et seulement, alors, il devait être jugé par un tribunal[5].

CHRISTIANISME (CATHOLICISME)

Dans le christianisme, les attitudes envers la peine de mort varient en fonction des dénominations et des interprétations théologiques. Les premiers textes du Nouveau Testament présentent Jésus Christ prêchant la miséricorde et le pardon, et beaucoup de chrétiens citent ces enseignements pour s'opposer à la peine de mort. Cependant, des passages de l'Ancien Testament ont été interprétés de manière à justifier la peine capitale Genèse 9, 6 : « Quiconque verse le sang de l'homme, son sang sera versé par l'homme ; car à l'image de Dieu Dieu a fait l'homme » ou bien des passages des Evangiles : Matthieu 5, 38-39 « Vous avez entendu qu'il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent. Mais moi, je vous le dis, ne résistez pas au malfaiteur. Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, tendez-lui aussi l'autre ». Les positions varient également en fonction des perspectives éthiques, allant des chrétiens abolitionnistes qui soulignent la dignité humaine à ceux qui voient la peine de mort comme un moyen de justice punitive.

Pour les catholiques, le pape François a estimé, mercredi 11 octobre 2017, que la doctrine de l’Église catholique devait pouvoir évoluer, notamment sur la peine de mort. Il faut garder en tête que selon la doctrine chrétienne, Jésus lui-même a été condamné à la peine de mort. Même si pour eux, le Christ a triomphé de la mort, la condamnation pénale et la mise à mort jouent un rôle fondamental et irremplaçable dans la Passion du christ. L'Eglise condamne de manière stricte l'homicide de l'innocent, du juste (c'est aussi cet argument qui est utilisé pour se positionner contre le droit à l'avortement).
 
D'ailleurs, pour les catholiques, on retrouve dans le catéchisme de l'Eglise catholique (1992) :

2263 La défense légitime des personnes et des sociétés n’est pas une exception à l’interdit du meurtre de l’innocent que constitue l’homicide volontaire. « L’action de se défendre peut entraîner un double effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur ... L’un seulement est voulu ; l’autre ne l’est pas »[6].

2264 L’amour envers soi-même demeure un principe fondamental de la moralité. Il est donc légitime de faire respecter son propre droit à la vie. Qui défend sa vie n’est pas coupable d’homicide même s’il est contraint de porter à son agresseur un coup mortel : Si pour se défendre on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, ce sera licite... Et il n’est pas nécessaire au salut que l’on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l’autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu’à celle d’autrui[7].

2265 En plus d’un droit, la légitime défense peut être un devoir grave, pour qui est responsable de la vie d’autrui. La défense du bien commun exige que l’on mette l’injuste agresseur hors d’état de nuire. A ce titre, les détenteurs légitimes de l’autorité ont le droit de recourir même aux armes pour repousser les agresseurs de la communauté civile confiée à leur responsabilité.

2266 L’effort fait par l’Etat pour empêcher la diffusion de comportements qui violent les droits de l’homme et les règles fondamentales du vivre ensemble civil, correspond à une exigence de la protection du bien commun. L’autorité publique légitime a le droit et le devoir d’infliger des peines proportionnelles à la gravité du délit. La peine a pour premier but de réparer le désordre introduit par la faute. Quand cette peine est volontairement acceptée par le coupable, elle a valeur d’expiation. La peine, en plus de protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, a un but médicinal : elle doit, dans la mesure du possible, contribuer à l’amendement du coupable.

2267 Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée à la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun.

Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir.

C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que « la peine de mort est inadmissible car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne »[8] et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde[9].

ISLAM

L'islam, en tant que religion dite abrahamique, aborde également la question de la peine de mort dans le Coran et la Sunna, les enseignements du Prophète Muhammad. Le Coran prescrit la peine de mort dans certains cas, tels que le meurtre intentionnel ou la corruption sur terre. Cependant, comme les autres religions, il met également l'accent sur la clémence et encourage la réconciliation lorsque c'est possible. Les traditions juridiques islamiques, basées sur la sharia (le Droit musulman), ont établi des procédures strictes pour l'application de la peine de mort, visant à éviter les erreurs judiciaires et à garantir la justice.

Tout d’abord, tout comme dans le judaïsme et la Halakha (le Droit religieux juif), les versets et l’application de son contenu sont deux choses : l'application de cette catégorie de versets n'est ainsi pas possible en terre non-musulmane, puisque le référentiel de jugement n’est pas le même. Ainsi, la position des musulmans face à la peine de mort ne peut être comprise que dans le cadre du système du droit pénal musulman.

Parmi les cas mentionné dans le Coran, celui de l'homicide volontaire. Le Coran donne aux ayants droit la possibilité de se venger sur le coupable en application de la loi du talion[10], une norme que l'Islam hérite de la Torah. « Nous leur avons prescrit, dans la Torah: vie pour vie, oeil pour oeil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Les blessures tombent sous la loi du talion; mais celui qui abandonnera généreusement son droit obtiendra l'expiation de ses fautes » (5,45 et 2,178).

Le Coran incite au pardon et insiste sur la sacralité de la vie : Ne tuez pas l'homme que Dieu vous a interdit de tuer, sinon pour une juste raison. Lorsqu'un homme est tué injustement, nous donnons à son proche parent le pouvoir de le venger. Que celui-ci ne commette pas d'excès dans le meurtre.
« Celui à qui son frère aura pardonné quelque chose, alors (on lui fera) une requête convenable [le paiement du dédommagement], et (il s'en) acquittera de bonne grâce. Ceci est un allègement et une miséricorde de la part de votre Seigneur… »[11].

« Celui qui pardonne cela, ce sera une cause de pardon pour ses (propres) péchés »[12].
Dans le même ordre d'idées, le Prophète a dit : « Celui dont (un proche) a été tué, ou celui qui a été blessé, a le choix entre trois possibilités : soit il demande la loi du talion, soit il pardonne, soit il prend le dédommagement financier (diya)… »[13].

Ces proches de la victime n'ont pas le droit de se faire justice eux-mêmes, et ils doivent donc porter plainte et préciser leur requête (talion ou dédommagement financier) auprès du tribunal compétent. Celui-ci établira les culpabilités et statuera en fonction à la fois de la requête et de la présence ou, au contraire, de l'absence des conditions suivantes.
D'après les textes des sources musulmanes eux-mêmes, cette peine est inapplicable au meurtrier si n'importe laquelle des quatre conditions suivantes est absente :
-          Demande de réparation de la part de la victime
-          Avoir une preuve explicite
-          Que ce soit meurtre avec préméditation
-          Des circonstances atténuantes : ainsi en est-il du cas de légitime défense, évoqué explicitement par le Prophète[14].

« Je n'ai jamais vu le Prophète (sur lui soit la paix) avoir à traiter une affaire dans laquelle le talion était applicable, sans qu'il recommande (aux proches de choisir) le pardon »[15]
 
LE POINT DE VUE DES CROYANTS 

La pensée religieuse indique de manière très précise que la vie n’a été octroyée à l’être humain par Dieu à condition qu’il en use à bon escient. Si le fauteur prouve qu’il use de ses jours à mauvais escient, mieux vaut qu’il soit « aidé à quitter ce monde » afin qu’il n’accumule pas des accusations et qu’il puisse mériter le monde futur en faisant un repentir avant de quitter ce monde[16]. Car le but du croyant n’est pas d’avoir une longue vie, mais une bonne vie remplie de bonne action pour ensuite avoir cette longue vie (la vie éternelle) à la fin de sa vie terrestre. C’est une pensée qui « explique » le rapport potentiel avec la peine de mort, et notre malaise face à la thématique dans nos sociétés où la mort ne fait plus partie de la vie, où l’on cherche à prolonger par tous les moyens qui soient notre existence terrestre et à jouir de la vie un maximum de temps. La peine de mort est vue non pas comme une réparation de la justice et la punition des ACTES de la personne, mais comme le fait de mettre fin à la vie de quelqu’un, tout aussi criminel soit-il.

En conclusion, les perspectives sur la peine de mort dans les religions juives, chrétiennes et musulmanes sont complexes et nuancées. Alors que les textes sacrés fournissent des indications, leur interprétation et leur application dépendent souvent du contexte culturel, historique et théologique. De nombreux croyants et leaders religieux luttent avec la tension entre la justice punitive et la miséricorde, reflétant la diversité d'opinions au sein de chaque tradition.

 

NOTES


[1] Rambam Hilkhot Sanhédrin 14-12

[2] Nombres 15-32-36

[3] Levitique 18- 22 ; Deutéronome 23-18. Talmud Sanhédrin 54b

[4] Proverbes 29-4 ; Talmud, Makot 7a

[5] Sanhédrin 81b ; Encyclopédia Talmoudit, volume 11, p. 291-314

[6] S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 64, 7

[7] S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 64, 7

[8] Pape François, Discours aux Participants à la Rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation, 11 octobre 2017

[9] Troisième partie : la vie dans le Christ. Deuxième section les 10 commandements. Chapitre 2 : tu aimeras ton prochain comme toi-même Article 5 Le cinquième commandement I. Le respect de la vie humaine

[10] Sur la loi du talion, voir Coran 2,178-179, 194; 4,92; 5,32 ; 5,45; 16,126; 17,33; 22,60

[11] Coran 2,178

[12] Coran 5,45

[13] rapporté par Abû Dâoûd, n° 4496, une version voisine est rapportée par Ibn Mâja, n° 2623

[14] rapporté par Muslim, n° 140

[15] rapporté par Abû Dâoûd, n° 4497

[16] Talmud Chabbath 32a, Talmud Sanhédrin 43b et 45b

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