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Visite de la Maison des religions de Berne : quand la cohabitation interreligieuse devient réalité

Dernière mise à jour : 8 déc. 2024

Dans un monde où les tensions interreligieuses font régulièrement la une des journaux, une initiative unique en son genre défie les préjugés à Berne, en Suisse. La Maison des religions, ouverte en 2015, prouve qu'une cohabitation harmonieuse entre différentes confessions est possible, même si le chemin n'est pas sans embûches. Nous avons visité cet endroit exceptionnel.


Un projet ambitieux né d'une volonté publique

C'est dans le quartier de Bümpliz, une zone caractérisée par une forte immigration et des loyers modérés, que cette expérience unique a vu le jour. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'initiative n'est pas venue des communautés religieuses elles-mêmes, mais de la ville de Berne.


Espace dédié à l'hindouisme

En effet, avant de commencer la visite, notre guide Karin Mykytjuk-Hitz nous présente le système suisse, construit sur un modèle de laïcité très différent du système français, puisque caractérisé par une approche pragmatique et décentralisée. Contrairement à la séparation stricte française, le système suisse reconnaît officiellement certaines communautés religieuses et entretient avec elles des relations de coopération. Chaque canton dispose de sa propre législation en matière religieuse, créant une mosaïque de situations à travers le pays. Par exemple, elle nous a expliqué qu'à Genève et Neuchâtel, il existe une séparation plus stricte entre l'État et les religions, proche du modèle français. À Zurich et Vaud, c'est plutôt un modèle de reconnaissance multiple incluant plusieurs communautés. Le canton de Berne reconnaît officiellement trois communautés religieuses : l'Église réformée évangélique, l'Église catholique romaine (celle que l'on connaît généralement, dirigée par le Pape à Rome et qui représente la grande majorité des catholiques dans le monde), et l'Église catholique chrétienne (aussi appelée "Église vieille-catholique" dans certains pays), qui est une Église distincte qui s'est séparée de l'Église catholique romaine en 1870, suite au premier concile du Vatican. Ces trois communautés bénéficient d'un statut de droit public leur permettant de percevoir l'impôt ecclésiastique, de recevoir des subventions cantonales, d'intervenir dans les écoles et les institutions publiques et de participer à certaines décisions publiques concernant les questions religieuses. La particularité du système suisse réside dans son mode de financement des cultes via l'impôt ecclésiastique : les membres des communautés reconnues paient un impôt ecclésiastique en plus de leurs impôts ordinaires. Le taux varie selon les cantons (environ 8-12% de l'impôt cantonal à Berne), et les citoyens peuvent se déclarer "sans confession" pour être exemptés. À Berne, cet impôt représente une source importante de financement pour les communautés reconnues. En 2022, il a généré environ 200 millions de francs suisses. Cette configuration particulière influence directement le fonctionnement de la Maison des religions, puisque les communautés reconnues bénéficient indirectement des ressources de l'impôt ecclésiastique, alors que les autres communautés doivent s'autofinancer.


Suite à une étude sur le développement urbain, les autorités ont donc souhaité créer un espace permettant aux différentes communautés de pratiquer leur culte dans de bonnes conditions, tout en favorisant le dialogue interculturel. Le résultat ? Un bâtiment moderne qui abrite sous un même toit une mosquée, une église, un temple bouddhiste, un temple hindou et une salle de prière alévie. Les Bahá'ís, communauté, qui compte environ 6 millions de fidèles dans le monde et dont la foi fondée en Perse au XIXe siècle prône l'unité de toutes les religions et l'harmonie entre science et religion, participent activement aux échanges. Cette contribue particulièrement aux dialogues interreligieux grâce à sa vision universaliste. Les Juifs et les Sikhs sont également partie prenante du projet, même s'ils ne disposent pas d'espace dédié dans le bâtiment.


Espace dédié à l'islam

Un financement innovant pour un projet hors normes

Le projet, dont le coût total s'est élevé à 75 millions de francs suisses, illustre une approche novatrice du financement des lieux de culte. La répartition des espaces et leurs coûts respectifs témoignent de l'ampleur du projet.


Le temple hindou, le plus vaste avec ses 800 m², a nécessité un investissement conséquent de la communauté hindoue locale. La mosquée, occupant 500 m², a été financée par les contributions des fidèles musulmans et diverses associations islamiques suisses. La salle bouddhiste (150 m²), la salle chrétienne (150 m²) et la salle alévie (150 m²) ont été financées par leurs communautés respectives.


Chaque communauté verse un loyer mensuel de 110 francs suisses par mètre carré, auxquels s'ajoutent les frais courants. Le financement global combine astucieusement dons privés, soutien public et revenus locatifs générés par les espaces commerciaux.


Espace dédié au christianisme

Des défis quotidiens surmontés avec intelligence

La cohabitation de ces différentes communautés soulève des défis pratiques et culturels quotidiens. Les tensions entre musulmans et hindous illustrent particulièrement ces difficultés. Lors de la fin du Ramadan, les célébrations musulmanes ont dû être coordonnées avec la puja (offrande aux dieux) hindoue. Des tensions sont également apparues concernant la tenue vestimentaire : il a été rapporté par la guide que certains musulmans ont été choqués par la pratique des prêtres hindous officiant torse nu, conformément à leur tradition. Un autre point de friction concernait la gestion des défunts : les musulmans souhaitaient un espace pour les rites mortuaires, ce que les hindous ne pouvaient accepter, la présence d'un défunt dans l'espace commun leur interdisant toute pratique religieuse selon leurs croyances. Ces défis ont nécessité des compromis créatifs et une médiation constante.


La Maison des religions face à l'intolérance

Les défis ne sont pas uniquement internes. L'exemple le plus frappant est celui de l'imam Mustafa Memeti, figure progressiste de l'islam suisse né en Serbie en 1962 et réfugié en Suisse en 1991. Lors de notre visite de la mosquée, il nous expliqua que son engagement pour un islam moderne et sa participation à ce projet interreligieux lui ont valu une fatwa en 2015. Des imams ont même décrété que les prières effectuées sous sa direction n'étaient pas valides, illustrant les résistances auxquelles le projet doit faire face. Mais Memeti persiste malgré les menaces.


Espace dédié à l'alévisme

Un modèle transposable en France ?

En revenant de cette expérience bernoise, cela a soulevé naturellement la question de sa transposition en France. Le contexte français présente des particularités qui pourraient à la fois enrichir et complexifier un tel projet.


D'un côté, nous y voyons plusieurs opportunités, telles que la réponse architecturale et sociale innovante au manque de lieux de culte adaptés, particulièrement pour certaines confessions, mais aussi un moyen de favoriser l'intégration et le dialogue dans les quartiers multiculturels, de démystifier les pratiques religieuses et de lutter contre les préjugés. Cela serait un projet pilote pour repenser la place du fait religieux dans l'espace public français.


Mais c'est aussi cet espace français qui créé des obstacles spécifiques : le cadre juridique de la laïcité française, qui bien que ne l'interdisant pas, complexifie le financement public de lieux de culte, et le projet nécessiterait une structure juridique adaptée permettant de respecter la séparation des Églises et de l'État. Il faudrait peut-être une sécurisation du site, cruciale dans un pays marqué par plusieurs attentats visant des lieux de culte, et il faudrait faire face à des réticences politiques potentielles dans un contexte où la religion est souvent source de controverses.


Toutefois, un projet similaire en France pourrait avoir des retombées significatives, plus nombreuses que les obstacles. Sur le plan social, un tel projet peut contribuer à la réduction des tensions interreligieuses grâce à des interactions quotidiennes : se croiser, se connaître et vivre véritablement ensemble. La Maison des religions organise parfois des évènements à thèmes pour que les fidèles puissent se croiser et oeuvrer ensemble. Sur le plan éducatif, il y aurait des opportunités pédagogiques pour les écoles (il y avait d'ailleurs des groupes d'élèves lors de notre visite), ce qui pourrait mener à une meilleure compréhension des différentes traditions religieuses. Sur le plan urbanistique, cela pourrait mener à la requalification de quartiers en difficulté, par la création d'un pôle d'attraction culturel et touristique.


Espace dédié au bouddhisme

La Maison des religions de Berne représente bien plus qu'une simple expérience architecturale ou sociale. C'est la preuve vivante qu'un autre modèle de coexistence religieuse est possible. Si les défis sont nombreux, les bénéfices potentiels pour la société justifient l'effort d'adaptation et d'innovation nécessaire. Dans un contexte mondial marqué par les tensions religieuses, l'exemple bernois offre une lueur d'espoir et un modèle concret de dialogue interconfessionnel. Pour la France, pays de la laïcité mais aussi de la diversité religieuse, s'inspirer de cette expérience pourrait ouvrir la voie à une nouvelle approche du fait religieux dans l'espace public.


 

Sources complémentaires :

Office fédéral de la statistique suisse (2023)

"La Maison des religions de Berne : un modèle pour l'Europe?" (Revue des études religieuses, 2021)


Pour aller plus loin : Visites guidées disponibles sur réservation (www.haus-der-religionen.ch)

Contact pour les groupes : Maison des religions Europaplatz 1 3008 Berne, Suisse

 

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