Les violences conjugales constituent l'une des violations les plus graves des droits humains, touchant toutes les strates de la société, indépendamment des croyances ou de la culture. En 2021, 122 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire en France, un chiffre qui soulève des questions fondamentales sur notre société et ses valeurs. Dans ce contexte, les textes religieux sont souvent soit invoqués pour justifier ces violences, soit accusés de les cautionner. Cette instrumentalisation, basée sur des interprétations décontextualisées ou des traductions approximatives, mérite une analyse approfondie. Cette étude, née des questionnements de nos lecteurs, propose d'examiner rigoureusement la position des trois grandes religions monothéistes sur les violences conjugales. Parmi les questions posées, nous avons retrouvé : Pourquoi l'homme ne parle que des obligations qui l'arrange et pas de celles qui lui incombent ? Peut-on parler de mauvais patriarcat dans l'islam ? Est-ce qu’elles sont directement traitées dans les trois religions / Existe il vraiment une religion dans le monde qui prône les violences conjugales ? Quel texte pose problème ? La violence psychologique est-elle prise en compte ? La violence conjugale est-elle une raison acceptée pour divorcer, sans remboursement de dotes ? Quelles sont les limites d’accepter un rapport intime avec l’époux/se ? Comment l'homme musulman en est-il arrivé à être violent avec son épouse alors que le Prophète (que la paix soit sur lui) était exemplaire de sensibilité et d'attention dans son comportement avec ses épouses ?
DEFINITIONS
Pour aborder cette question complexe avec la rigueur nécessaire, il convient d'abord de définir précisément ce que recouvre la notion de violences conjugales, tant sur le plan juridique que social.
Les violences conjugales, également appelées violences domestiques, se réfèrent à tout comportement abusif ou violent perpétré par l'un des partenaires intimes à l'encontre de l'autre au sein d'une relation conjugale ou d'un partenariat. Ces comportements peuvent revêtir diverses formes, notamment physique, psychologique, sexuelle, économique, ou une combinaison de ces aspects.
Sur le plan juridique, les définitions précises des violences conjugales peuvent varier d'un pays à l'autre, mais elles incluent généralement tout acte intentionnel visant à causer des dommages ou des souffrances à un partenaire intime. Ces actes peuvent être sanctionnés pénalement, et les lois contre les violences conjugales comprennent souvent des dispositions pour la protection des victimes, des ordonnances de restriction, et d'autres mesures visant à prévenir la répétition des abus[1].
En général, les violences conjugales ne se limitent pas à des actes physiques évidents, mais englobent également des formes subtiles de contrôle, de manipulation et de domination qui peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur la victime.
La lutte contre les violences conjugales implique souvent une combinaison d'approches juridiques, sociales, et de soutien psychologique pour aider les victimes et prévenir de tels comportements à l'avenir. Et c’est là que les religions peuvent jouer un rôle crucial dans la défense des victimes de violences conjugales en agissant comme des vecteurs de sensibilisation, de soutien et de changement culturel. Encore faut-il que le message délivré par les religions soit bien compris, et que certains points présents dans les Ecritures explicités.
Une lecture approfondie des textes sacrés
Si certains passages des textes religieux peuvent sembler troublants à première lecture, leur compréhension nécessite une analyse contextuelle et une étude des commentaires traditionnels qui les accompagnent.
Existe-t-il vraiment une religion dans le monde qui prône les violences conjugales ? Est-ce que les violences conjugales sont directement traitées dans les trois religions ? Quel texte pose problème ? Prôner les violences conjugales, non, évidemment. En revanche, oui, les textes abordent certaines histoires se référant aux violences conjugales, ou bien ont été traduits dans ce sens. Ils contiennent de nombreux exemples de violence physique à l’égard des femmes. Les cas les plus brutaux de violences sexuelles à l’égard des femmes sont souvent le signe d’un effondrement de la société et le prélude à des massacres à grande échelle.
Dans la Torah, lorsque Dinah, la fille de Jacob, est violée par Sichem, le prince de la ville du même nom (Genèse 34), les frères de Dinah prennent l’assaut comme une question d’honneur familial et profitent de l’occasion pour massacrer tous les habitants de la ville. Le Livre des Nombres (Nombres 5) fournit à un mari jaloux un rituel pour déterminer si sa femme lui a été infidèle. Aucune limite n’est imposée à l’homme ; Il peut amener sa femme au prêtre pour endurer une épreuve quand il le désire. Dans ce test, la femme est tenue de boire du poison, et si elle survit sans dommage à son corps, elle est présumée innocente. La violence dans ce cas n’est pas seulement physique mais aussi religieuse, dans la mesure où la violence est intégrée dans le corps d’un rituel religieux[2].
On lit souvent sur les sites qui traitent des violences conjugales dans les religions que dans le livre du Deutéronome, si un homme viole une femme mariée dans une ville, la femme est mise à mort aux côtés de l’auteur du crime. Elle n’est épargnée que si le viol a lieu à la campagne, où elle ne peut pas appeler à l’aide[3].
Juges 19 offre un récit abominable dans lequel un hôte propose de jeter les femmes de sa maison dans la rue où une meute d’hommes a l’intention de violer le visiteur masculin. L’une des femmes, qui n’est jamais nommée, est violée, tuée et mutilée. « J’ai une fille encore vierge, il a une concubine, je vais vous les livrer; abusez d’elles, traitez-les comme il vous plaira, mais ne commettez pas sur cet homme une action si odieuse. Mais on ne voulut pas l’écouter. Alors le voyageur prit sa concubine et la leur abandonna dans la rue. Et eux abusèrent d’elle, la brutalisèrent toute la nuit et ne la lâchèrent que le matin, comme l’aube se levait. (…) arrivé chez lui, il prit un couteau, et, saisissant le corps de sa concubine, le divisa par membres en douze morceaux, qu’il envoya dans tout le territoire d’Israël. »
Dans 1 Samuel, lorsque l’un des fils de David, Amnon, viole sa demi-sœur Tamar, une querelle entre frères s’ensuit, et Amnon est finalement tué par son frère Absalom (1 Samuel 13).
Dans un autre cas (Juges 21), les tribus d’Israël déciment la tribu de Benjamin dans une guerre civile. Après le massacre de tous les membres de la tribu (à l’exception des soldats), les autres tribus se rendent compte que Benjamin pourrait ne pas survivre. Afin de résoudre ce problème, les soldats d’Israël conquièrent une autre région et massacrent la population à l’exception de 400 vierges, qui sont données aux guerriers de Benjamin.
Dans le Coran, c’est surtout le verset 34 de la sourate « les femmes » qui est employé à titre d’exemple. Il est traduit dans la majorité des éditions ainsi : « Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu'Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu'ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l'absence de leurs époux, avec la protection d'Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d'elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand ! »
De l'interprétation à la pratique : une nécessaire contextualisation
La compréhension des textes sacrés ne peut se limiter à une lecture littérale. Les traditions religieuses ont développé des corpus d'interprétation sophistiqués qui permettent d'en saisir la véritable portée.
Les textes religieux requièrent une lecture attentive et nuancée, allant au-delà d'une compréhension littérale. Il est essentiel de reconnaître que la majorité de ces textes sont rédigés dans un style symbolique et métaphorique, laissant une marge d'interprétation significative. Ces écrits ne sont pas simplement des récits historiques, mais plutôt chargés de significations morales et spirituelles profondes. L'importance de la lecture accompagnée de commentaires devient alors cruciale. Les commentaires, qu'ils soient sous forme de Talmud pour la Torah ou de Tafsir pour le Coran, fournissent des clés d'interprétation, expliquant le contexte historique, culturel et linguistique dans lequel ces textes ont été rédigés. Ils permettent de clarifier certains points et d'adapter les enseignements à la réalité contemporaine. Cela évite aux lecteurs les interprétations simplistes et potentiellement problématiques, ouvrant ainsi la voie à une compréhension plus profonde et contextuelle des enseignements religieux. Cela souligne que la richesse spirituelle de ces textes réside dans leur capacité à transcender les époques, guidant les croyants vers des principes moraux intemporels plutôt que de fournir des réponses dogmatiques et littérales.
Ainsi, les commentateurs musulmans ont écrit de nombreux commentaires et documents jurisprudentiels concernant le verset cité, laissant entendre le droit pour les époux de battre les femmes.
Tout d’abord, ils sont revenus sur le terme généralement traduit par « frapper ». Avec une bonne traduction du texte arabe, voici comment le verset 34 de la sourate 4 devrait être lu :
Les hommes sont souteneurs des sources de stabilité sur les femmes en ce qu' a fait grâce Allah à certains par rapport aux autres et en ce qu' ils ont dépensé de leur biens. Alors les femmes justes et obéissantes sont gardiennes au sujet des secrets. Et de celles dont vous appréhendez leur rébellion alors exhortez-les, puis délaissez-les dans le lit, et enfin délivrez-les de leur engagement. Puis alors si elles vont dans votre sens alors nullement ne cherchez contre elles une voie. En fait Allah est le Plus Haut, le Suprême.
Ce que le verset du Coran autorise, est relatif à ce que la Sunna (deuxième source de juridiction islamique, tirée directement du Prophète Muhammad) a, pareillement, toléré.
Le Prophète a dit : « Le plus parfait des croyants est celui qui a le meilleur caractère. Et les meilleurs d'entre vous sont ceux qui sont les meilleurs avec leurs femmes »[4]. Il a dit aussi : « Le meilleur d'entre vous est celui d'entre vous qui est le meilleur vis-à-vis de sa famille. Et je suis celui d'entre vous qui est le meilleur vis-à-vis de sa famille »[5].
Le Prophète, lorsqu’il a eu connaissance de cas de violences conjugales, a fait un discours dans la mosquée, dans lequel il a relaté que de nombreuses femmes étaient venues auprès de ses épouses se plaindre de leur mari, et où il exprima que ce que ces maris avaient fait était mal[6].
Nullement on retrouve des textes authentifiés (avec des paroles prophétiques vérifiées) permettant de faire usage de la violence, ni conjugale, ni générale.
Parfois, il convient également d’aller au-delà de la citation d’un verset. Dans le récit du Deutéronome, en lisant tous les enseignements, on découvre que si un homme est surpris ayant commerce avec une femme mariée, ils mourront tous deux également, l'homme qui a eu commerce avec la femme, ainsi que cette dernière. Et tu feras disparaître ce mal en Israël. Les versets indiquant que la femme fiancée, mariée, et l’homme qui cohabitent et qui sont surpris ensemble seront mis à mort. En revanche, plus loin, il est mentionné que si un homme a fait violence à une femme fiancée, alors il mourra seul[7] et qu’à la jeune fille, « tu ne feras rien: elle n'a rien commis qui mérite la mort »[8].
Les commentateurs indiquent que dans le cadre d’une cohabitation (rapport intime) entre la femme mariée et un homme, si « les rapports sont contre-nature, lesquels ne procurent pas de plaisir à la femme », alors la femme ne mourra pas[9].
Cela implique donc que la relation entre un homme et une femme mariée les mettant en danger de mort est une relation adultérine assortie de plaisir. Dans le cadre d’une agression, seul l’assaillant est mis à mort selon la Halakha (loi religieuse juive).
La question sensible de l'intimité conjugale
Dans le cadre des violences conjugales, la question de l'intimité et du consentement occupe une place centrale. Les textes religieux, loin de justifier les abus, établissent un cadre strict de respect mutuel.
Dans les religions, l’intimité est cadrée, et considérée comme nécessaire. Que ce soit dans le cadre d’une obligation de procréation, ou bien de pouvoir répondre à certains besoins, il est considéré que les rapports intimes sont dû à l’époux et l’épouse.
On retrouve plusieurs textes abordant l’obligation d’une intimité entre les époux.
On retrouve dans le texte biblique :
« Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et que la femme agisse de même envers son mari. La femme n'a pas autorité sur son propre corps, mais c'est le mari ; et pareillement, le mari n'a pas autorité sur son propre corps, mais c'est la femme. Ne vous privez point l'un de l'autre, si ce n'est d'un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis retournez ensemble, de peur que Satan ne vous tente par votre incontinence »[10].
Il y a donc une obligation conjointe, de l’époux mais également de l’épouse.
Un hadith (parole prophétique), souvent citée, indique :
Abou Hourayra a rapporté que le Prophète (que la paix soit sur lui) a dit : « Quand une femme passe la nuit loin du lit de son mari, les anges la maudissent jusqu’au matin. » Ce hadith a été rapporté à travers la même chaîne d’émetteurs (avec une légère variation) : « Il a dit : Jusqu’à ce qu’elle revienne. »[11]
Le terme malédiction ici utilisé en français est synonyme d’éloignement (éloignement des bénédictions). Les commentaires de Nawawi indique que bien sûr, si la femme a une excuse légitime, comme le fait d’être trop malade pour avoir des relations sexuelles ou d’avoir une autre excuse qui l’empêche de venir au lit du mari, elle ne tombe pas dans l’injustice. Ce hadith concerne des femmes qui refusent l’intimité sans aucune excuse et ce, de manière très récurrente. D’autre part, le mari doit satisfaire les besoins sexuels de sa femme, s’il remarque qu’elle veut avoir des rapports sexuels ou lui demande de le faire. Il s’agit là aussi d’une règle de bonne entente du couple, et non d’un devoir de se soumettre physiquement, et dans l’intimité, ce qui constitue une violence physique.
L’acte intime marital est considéré comme une bonne chose dans les religions. Dans le judaïsme, il est même appelé « l’acte qui amène la paix au foyer ».[12]
La violence psychologique : le mal invisible
Au-delà des violences physiques, les traditions religieuses reconnaissent et condamnent également les formes plus insidieuses de maltraitance, notamment psychologique.
Il est courant pour certaines personnes, lorsqu’elles sont en colère, d’appeler les autres par des sobriquets, ou de les rabaisser. Chantage, menaces, manipulations, nous l’avons vu dans l’introduction, tout cela est associé à de la violence psychologique.
Le Coran établit des directives générales dans les versets suivants :
« Ô vous qui croyez ! Qu’un peuple ne se moque pas d’un peuple qui est peut-être meilleur qu’il ne l’est, et qu’une femme ne se moque pas d’une femme qui est peut-être meilleure qu’elle ne l’est ; Ne vous diffamez pas les uns les autres, ni ne vous insultez les uns les autres par des surnoms. Mauvais est le nom de la lubricité après la foi. Et quiconque ne se détourne pas dans la repentance, ceux-là sont les méchants. Ô vous qui croyez ! Évitez beaucoup de soupçons ; pour Lo ! Certains soupçons sont un crime. Et ne vous espionnez pas, et ne médisez pas les uns les autres. L’un d’entre vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? Vous abhorrez cela (vous avez horreur de l’autre) ! Et accomplissez vos devoirs. Voilà! Allah est Impitoyable, Miséricordieux. »[13]
La règle de base du mariage islamique étant : « Et parmi Ses signes, il y a celui-ci : Il a créé pour vous des compagnons parmi vous, afin que vous demeuriez dans la tranquillité avec eux, et Il a mis l’amour et la miséricorde entre vos cœurs. »[14]
Dans le judaïsme, les lois encadrant la vie dans le foyer (chalom Bayyit), impose évidemment une bonne entente, un respect mutuel. La personne violente a l’obligation d’étudier la Torah régulièrement sous la direction d'un Rav, afin de prendre pleinement conscience des obligations maritales en lien avec le bon comportement[15].
Un point culturel est aussi souvent responsable de ces comportements déviants : longtemps il a été considéré que l’homme avait des besoins plus intenses que ceux d’une femme, ou bien que le désir intime n’était pas conditionné à un bon état mental et physique. Aujourd’hui, certaines notices médicamenteuses notifient la « baisse de libido » comme étant un effet secondaire[16].
Le divorce : entre protection et préservation
Face aux situations de violence, les religions prévoient des mécanismes de protection, y compris la possibilité de divorce, contrairement aux idées reçues.
Dans le catholicisme, le divorce est traditionnellement considéré comme contraire aux enseignements de l'Église. Cependant, bien que le divorce en soi soit généralement découragé, l'Église reconnaît la réalité des situations difficiles, y compris les cas de violences conjugales[17]. Dans certaines circonstances, l'Église catholique peut accorder une déclaration d'annulation plutôt qu'un divorce. Une annulation déclare qu'un mariage n'était pas valide selon le droit canonique, et non pas qu'il a été dissous. Les demandes d'annulation sont examinées au cas par cas par des tribunaux ecclésiastiques.
Dans le judaïsme orthodoxe, le divorce religieux n’est prononcé qu’avec le consentement des deux conjoints. Mais contrairement aux femmes, les hommes peuvent obtenir une permission rabbinique de dissoudre leur union même si la femme refuse le divorce.
Dans l’islam, le mari peut, pour divorcer, prononcer la formule de divorce appelée « talâq », formule à laquelle la femme n’a pas recours. En revanche, elle peut demander à son mari de prononcer la formule de divorce et le mari le fait, ou bien, elle demande le divorce, lui rend la dote, et tous les deux mettent fin à leur état conjugal. Il s’agit là de la règle de base, qui évolue selon les écoles de jurisprudence que suivent les couples[18]. Dans un autre contexte, elle peut porter plainte auprès du qâdhî (juge en pays musulman) pour un certain nombre de griefs, dont bien sûr les violences conjugales, les coups et blessures, le refus de subvenir aux besoins financiers de l'épouse sont des causes valables de divorce[19].
En France, où le tribunal religieux n’existe pas, il faut ici relever qu'il y a des ulémas qui pensent que le divorce devient inéluctable quand l'épouse propose au mari le divorce avec restitution de dot (khul'). Le Hadîth rapporté par al-Bukhârî dit qu'une femme est venue voir le Prophète disant qu'elle n'aimait plus son mari et qu'elle voulait se séparer d'elle moyennant la restitution du verger qu'il lui avait donné en douaire ; le Prophète dit au mari : « Accepte le verger et divorce d'elle »[20]. As-San'ânî écrit en commentaire : « Le fait que le Prophète lui ait ordonné de se séparer d'elle est un ordre de recommandation et non d'obligation ; c'est ce qui a été dit. Mais le plus probable est que l'ordre soit considéré comme signifiant son sens originel, à savoir l'obligation ; le prouve le fait que Dieu ait dit : « Soit il la garde avec bienséance, soit il se sépare d'elle avec bienfaisance » : l'une de ces deux choses est obligatoire sur le mari ; or, ici il n'est plus possible qu'il « la garde avec bienséance » puisqu'elle demande la séparation ; il ne lui reste donc plus que « se séparer d'elle avec bienfaisance » [21].
Parallèlement aux aspects des droits religieux, il est également important de souligner que dans de nombreux pays, les lois civiles permettent le divorce pour des motifs tels que la violence conjugale, indépendamment des enseignements religieux.
L'impact culturel : quand la tradition déforme la religion
La lecture des textes religieux est souvent déformée par le prisme culturel, particulièrement en France où la question des violences conjugales révèle des paradoxes troublants dans notre société moderne.
En France, la validation culturelle des violences conjugales constitue une réalité troublante, illustrée par des statistiques alarmantes. Malgré les progrès dans la sensibilisation aux violences, notamment avec la date du 25 novembre permettant une mise en avant médiatique, les chiffres restent préoccupants.
En 2021, les chiffres publiés par le Ministère de l’Intérieur indiquent 122 femmes tuées par leur partenaire ou ex-partenaire. 82 % des morts au sein du couple sont des femmes. Parmi les femmes tuées par leur conjoint, 35 % étaient victimes de violences antérieures de la part de leur compagnon. Par ailleurs, parmi les 22 femmes ayant tué leur partenaire, la moitié, soit 11 d’entre elles, avaient déjà été victimes de violences de la part de leur partenaire[22].
En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol est estimé à 94 000 femmes. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits[23].
Plus encore, la société française a été confrontée à des situations troublantes où des personnalités politiques ou des ministres, malgré des accusations de violences conjugales à leur encontre, ont conservé leur poste.
Maire UMP du Raincy depuis 1995, Eric Raoult était visé en 2014 par une plainte pour harcèlement sexuel et moral et l’enquête préliminaire ouverte fut classée sans suite au début de l’année 2015.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin a lui aussi été visé par une plainte pour viol, classée sans suite dans un premier temps, puis relancée et pour laquelle le parquet a finalement requis un non-lieu début 2022.
Denis Baupin, député écologiste démissionna le 9 mai 2016 du poste de vice-président de l’Assemblée nationale, suite à des accusations de harcèlement sexuel de la part de collaboratrices d’Europe Ecologie-Les-Verts, parmi lesquelles Sandrine Rousseau. Le 6 mars 2017, l’enquête est classée sans suite « pour prescription » des faits reprochés.
Une avocate a porté plainte pour « violences psychologiques » et « menaces » contre le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti. Le parquet d’Evreux a « classé sans suite » le dossier mercredi 6 octobre 2021.
Lors d'un déplacement dans le Tarn, Emmanuel Macron avait alors été interpellé en juin 2022 par une jeune femme au sujet de deux ministres alors accusés de viols, Gérald Darmanin et Damien Abad. « Vous mettez à la tête de l'Etat des hommes qui sont accusés de viol et de violences pour les femmes, pourquoi ? ». Le Président avait répondu « j'ai accompagné la libération de la parole et je continuerai de l'accompagner, de la protéger. En même temps, pour fonctionner en société vous devez avoir de la présomption d'innocence ».
Cette apparente impunité soulève des questions cruciales sur la manière dont la société traite ces allégations, mettant en évidence la nécessité d'un examen approfondi des systèmes de soutien aux victimes, des mécanismes de responsabilisation et des normes culturelles qui peuvent démontrer, voire prouver pour les victimes, une culture d'acceptation des violences conjugales.
Les communautés religieuses : un rôle crucial dans la prévention
Face à ce fléau, les institutions religieuses disposent d'outils et de responsabilités spécifiques pour prévenir et combattre les violences conjugales.
En intégrant ces principes dans les prédications et les enseignements religieux, les responsables religieux qui portent une parole publique et entendue contribuent à créer une culture qui rejette la violence conjugale, en sensibilisant les fidèles. Les institutions religieuses peuvent organiser des programmes éducatifs et des ateliers de sensibilisation sur les violences conjugales, dès l’âge de la puberté et de la construction des relations sociales. Cela peut aider à rompre le silence autour de ce problème, sensibiliser les jeunes avant qu’ils ne débutent leur vie conjugale, et encourager les victimes à chercher de l'aide. Les responsables religieux et les membres de la communauté peuvent offrir un soutien aux victimes, en ouvrant des cellules d’écoute. Cela inclut l'écoute bienveillante, la prière, le conseil religieux et l'orientation vers des ressources professionnelles de soin.
Les enseignements religieux doivent être utilisés pour déconstruire les interprétations abusives des textes sacrés qui sont exploités pour justifier la violence. Ils doivent également collaborer avec des associations qui se consacrent à la lutte contre les violences conjugales, renforçant ainsi les efforts pour sensibiliser, prévenir et soutenir les victimes.
Conclusion : Au-delà des préjugés, un combat commun
L'analyse approfondie des textes et traditions religieuses révèle une réalité bien différente des idées reçues. Loin de cautionner les violences conjugales, les religions proposent des cadres éthiques et des mécanismes de protection qui, correctement compris et appliqués, peuvent contribuer à la lutte contre ce fléau.
La persistance des violences conjugales dans notre société ne relève pas d'une quelconque validation religieuse, mais plutôt d'interprétations culturelles erronées et d'une méconnaissance des textes. Le défi actuel consiste à mobiliser ces ressources spirituelles et communautaires dans une approche globale de prévention et de protection des victimes.
NOTES
[1] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F12544 [2] Cheryl J. « L’éthique de la violence biblique contre les femmes », dans La Bible en éthique : le deuxième colloque de Sheffield, éd. J. W. Rogerson, M. Davies et M. D. Carroll R. Sheffield : Sheffield Academic Press, 1995, pages 248-271 [3] 22,22-23. Lire l’explication dans quelques lignes. [4] at-Tirmidhî, 1162 [5] at-Tirmidhî, 3895 ; voir aussi Ibn Mâja, 1967 [6] Islâm aur jadîd mu'âsharatî massâ'ïl, Khâlid Saïfullâh, pp. 159-166 [7] Deutéronome 22,25 [8] Ibid [9] Houmach de Rachi, Devarim, 22, 22 [10] 7 Corinthiens 3-5 [11] Muslim 3366 [12] Chabbath 152a [13] Coran 49, 11-12 [14] Coran 30,21 [15] Talmud, traité 'Houlin [16] Pr Alain Astier, pharmacologue, article : « Effets secondaires des médicaments : les troubles sexuels » [17] Pape François, 1er janvier 2020, « toute violence infligée à la femme est une profanation de Dieu » [18] Linant de Bellefonds (Yvon), 1970, « Le “khul‘” sans compensation en droit hanafite », Studia Islamica 31, 185-195 [19] The Right to Divorce for Women (khul‘) in Islam: Comparative Practices in Mauritania and Egypt Corinne Fortier p. 59-83 [20] Boukhari dans son Sahih n°5273 [21] Subul us-salâm, as-San'ânî, tome 3 p. 263 [22] « Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Année 2020 », ministère de l’Intérieur, Délégation aux victimes [23] Enquête « VIRAGE », INED, 2016
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