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Testament, l'histoire de Moïse

Dernière mise à jour : 7 déc. 2024

Ce mercredi 27 mars sort la série « Testament, l’histoire de Moïse », constituée de trois épisodes de 1h20. Réalisé et co-écrit par Benjamin Ross (« Les Chroniques de Frankenstein »), « Testament » retrace la vie de Moïse de sa naissance jusqu’à sa mort. Le premier épisode (« Le Prophète ») traite de sa naissance, de son exil et de son retour en Égypte ; la seconde (« Les Plaies ») voit Moïse se jeter avec le Pharaon sur tous ces Hébreux réduits en esclavage ; et le troisième (« La Terre Promise ») suit notre homme du sommet de la montagne alors qu’il conduit son peuple au salut.

Cette série utilise un mode de narration hybride : environ la moitié des scènes sont mises en scène (avec, principalement, Avi Azulay interprétant Moïse, mais aussi Mehmet Kurtuluş dans le rôle de Pharaon, Dominique Tipper dans celui de Tsipporah, Ishai Golan dans celui d’Aaron et Tülay Günal dans le rôle de Bithia) et des effets visuels passables représentant divers fléaux et miracles – et l’autre moitié contient des entretiens peu curieux avec des prêtres, des rabbins, des théologiens et des historiens, dont les points de vue (introduits par un message informatif au début de l’épisode 1) sont précisés comme étant destinés à « enrichir le récit ... mais ne doivent pas être compris comme un consensus.

Première impression en lisant ce message : mmh, le réalisateur a pris des libertés, et nous, chez ILETAIT1FOI, on n’aime pas ça. Mais bon, nous décidons de poursuivre tout de même, on ne va pas s’arrêter alors que le générique n’a même pas débuté !
 
EPISODE 1 :

La série documentaire s'ouvre sur un choix narratif significatif : l'adoption de Moïse par la fille de Pharaon, suivant la tradition de la Torah. Cette perspective contraste avec la version islamique, où Assiya, l'épouse de Pharaon, est le personnage central de cet épisode. Il est à noter que le film d'animation "Le Prince d'Égypte" avait opté pour une approche similaire, attribuant l'adoption à Mouttouya, épouse de Séthi Ier. Le documentaire établit ensuite une relation familiale entre Moïse et Ramsès II, présenté comme son oncle après la mort de Séthi.

Un épisode particulièrement marquant, commun aux traditions coranique et hébraïque, fait l'objet d'une adaptation controversée : la confrontation entre Moïse et l'Égyptien maltraitant un esclave hébreu. Là où le Coran évoque un simple coup de poing[1], le documentaire opte pour une représentation plus brutale, montrant Moïse assénant plusieurs coups de pierre à la tête de l'Égyptien. La fuite de Moïse le conduit à la rencontre de sa future épouse Tsipora et de son père Jethro (nommés Safura et Chu'ayb dans le Coran). Le documentaire les représente comme des personnes noires, en accord avec les thèses théologiques sur leurs origines koushites[2]. Cependant, leur description comme simple "clan de pasteurs nomades" s'écarte des textes sacrés, où Jethro occupe des positions plus éminentes : grand prêtre dans la Torah et prophète dans le Coran[3]. Le documentaire présente plusieurs inexactitudes notables, dont une erreur significative dans l'intervention d'un professeur de Harvard citant un passage supposément coranique sur Tsipora, qui s'avère inexistant dans les textes. il cite que « dans le Coran, il y a un passage amusant où Tsipora marche devant Moïse, le vent souffle et soulève un peu sa jupe. Moise ne regarde pas et marche devant elle pour ne pas avoir le regard attiré. Les filles de Chu’ayb disent que Moïse est fort et digne de confiance. » Ce passage n’apparaît pas dans le Coran[4]. En revanche, la représentation du mariage de Moïse et Tsipora respecte fidèlement les traditions juives, incluant la houppa et le rituel du verre brisé.


Des éléments narratifs inédits s'imbriquent dans le récit cinématographique :

Moïse s’interroge à un moment en demandant « est-ce encore des ismaélites qui viennent nous faire des problèmes ? ». Aaron, le frère de Moïse (qui dans la Torah va à sa rencontre au désert[5], mais dans le reportage retrouve Moïse dans un genre de taverne) raconte à Moïse comment sa mère Yokébed a sauvé Moïse grâce à Dieu : il se cache avec Moïse dans une cachette (un trou dans le mur de la maison), et le serre très fort pour qu’il ne pleure pas au moment où les Egyptiens, conformément à l’ordre de Pharaon de tuer tous les premiers nés garçons, se rendent dans les maisons pour y chercher les bébés. Lorsque les Egyptiens partent, Aaron sort et Moïse ne respire plus. Yokébed pleure, et après quelques minutes, Moïse revient à lui, et pleure[6]. Dans le livre de l'Exode 4,19 il retourne en Egypte et une scène fait dire à Tsipora qu’elle ne croit pas du tout en ce Dieu. Dans le documentaire, Moïse retrouve sa mère Yokebed et passe même beaucoup de temps avec elle. Un des intervenants commente un verset coranique stipulant que Moïse avait un noeud dans la bouche et se demande comment interpréter le passage avec la bouche nouée : le tafsir (le commentaire exégétique) est pourtant bien connu, puisqu’il reprend lui-même un commentaire midrashique[7]. Les hébreux posent beaucoup de questions à Moïse, qui leur explique des choses sur la Genèse : parle d’Adam, Eve Noé Isaac Jacob Esau … Ce qui reste étonnant étant donné que ces enseignements n'ont été codifiés qu'après le don de la Torah. Cette approche s'éloigne des textes sacrés, qui se concentrent principalement sur la mission libératrice de Moïse envers son peuple. Cette première partie du documentaire illustre ainsi les défis inhérents à l'adaptation d'un récit sacré pour un public contemporain, entre fidélité aux textes et libertés créatives.

 
EPISODE 2
 

Le second épisode de la série documentaire s'ouvre sur une scène symbolique forte : la transmission à Moïse d'une tunique sacrée, jadis portée par Jacob et transmise à travers la lignée des prophètes, établissant ainsi une continuité spirituelle entre les patriarches.

Le récit enrichit considérablement le personnage de Bithia, la fille de Pharaon, à travers une séquence empreinte de mysticisme. Le documentaire révèle que sa découverte de Moïse survient dans un moment de profonde détresse personnelle, après la perte d'un enfant mort-né. La scène du sauvetage de Moïse est décrite avec des éléments miraculeux : alors qu'elle pleure près du Nil, elle aperçoit le couffin et, dans un moment extraordinaire, son bras s'allonge miraculeusement pour atteindre l'enfant[8]. L'origine de son nom, Bithia, signifiant "fille du Dieu des Hébreux" (bat ya), est expliquée par les commentaires midrashiques comme une reconnaissance divine de son geste, justifiant également le choix d'un nom hébreu pour Moïse. L'épisode aborde ensuite une question théologique fondamentale à travers le prisme de la souffrance du peuple hébreu. Face au durcissement des conditions de l'esclavage en réponse aux demandes de Moïse, les Hébreux s'interrogent sur l'apparente passivité divine. Cette séquence offre une réflexion profonde sur la nature de l'intervention divine dans l'histoire humaine, dont le contenu est volontairement préservé pour les futurs spectateurs.

La conclusion de l'épisode établit un parallèle significatif entre les traditions religieuses, montrant Bithia prenant parti pour Moïse. Cette représentation fait écho au personnage d'Assiya dans la tradition coranique, qui, selon les textes islamiques, embrassa secrètement la foi de Moïse et rejeta la prétendue divinité de Pharaon, choix qui la conduisit au martyre sous la torture de Pharaon. Cette convergence narrative illustre les points de rencontre entre les différentes traditions abrahamiques dans leur traitement de cette histoire fondatrice.


EPISODE 3 :

Justement, le troisième épisode du documentaire poursuit l'exploration du personnage de Bithia, mettant en scène sa résistance ouverte contre l'autorité de Pharaon, illustrée notamment par son refus de se prosterner. Le traitement de ce personnage révèle des divergences significatives entre les traditions religieuses. Selon le midrash, Bithia, fille aînée de Sethi, échappe à la dernière plaie d'Égypte - la mort des premiers-nés - grâce à sa foi dans le message de Moïse. Le documentaire va plus loin en la montrant accompagnant les Hébreux lors de l'exode et jusqu'en Terre Promise. Cette représentation contraste fortement avec le récit islamique d'Assiya, présentée par une intervenante musulmane comme une martyre, morte sous la torture de Pharaon pour sa conversion.

Un point de controverse apparaît dans la traduction française du documentaire, concernant un hadith relatant une conversation entre l'ange Gabriel et le prophète Muhammad (transcrit "Mahomet" dans les sous-titres français). Selon ce récit, Gabriel aurait identifié Satan et Pharaon comme les êtres qu'il détestait le plus, ajoutant qu'il avait mis de la boue dans la bouche de Pharaon pour l'empêcher de se convertir[9].

L'épisode met également en lumière une divergence théologique majeure concernant l'épisode du Veau d'or. Le documentaire adopte la perspective de la Torah, qui présente Aaron comme participant à l'idolâtrie en construisant le Veau d'or. Cette version diffère significativement du récit coranique, où Aaron est explicitement disculpé de toute participation au polythéisme, étant au contraire présenté comme s'étant activement opposé à cette dérive du peuple[10].


Le documentaire se conclut sur la bataille d'Amalek, épisode qui a laissé une empreinte durable dans la langue française : l'expression "baisser les bras" pour signifier l'abandon trouve son origine dans cet épisode biblique mettant en scène Moïse[11].

 
Notre conclusion

Cette série documentaire sur Moïse, bien que ne satisfaisant pas entièrement les attentes des autorités religieuses traditionnelles, représente une initiative importante dans la diffusion des récits sacrés auprès d'un public contemporain. Si la série ne peut prétendre à une reproduction exacte des textes sacrés, compte tenu notamment des divergences inhérentes entre les récits de la Torah et du Coran, elle ouvre néanmoins de nouvelles perspectives de dialogue interreligieux.

La diffusion sur Netflix constitue un atout majeur, permettant d'atteindre un public jeune, potentiellement plus réceptif à ce format qu'aux enseignements religieux traditionnels. Toutefois, nous soulignons l'importance d'un accompagnement parental pour contextualiser et approfondir les contenus présentés.

L'approche du documentaire se distingue particulièrement par sa capacité à établir des parallèles avec les enjeux contemporains. Les interventions d'experts illustrent cette volonté d'actualisation : le rabbin Shlomo Einhorn analyse l'histoire sous l'angle de la justice sociale, le Dr Carol Meyers explore la dimension de désobéissance civile, le rabbin Maurice Harris met en lumière le courage extraordinaire des femmes dans la protection de Moïse, le Dr Celene Ibrahim souligne la dimension révolutionnaire du récit et le pasteur Andy Lewter établit des parallèles avec le combat de Martin Luther King Jr.

Cette mise en perspective moderne du récit biblique contribue à sa pertinence pour un public contemporain, tout en préservant sa dimension spirituelle et historique.

En conclusion, malgré ses limites inévitables dans la représentation des différentes traditions religieuses, ce documentaire représente une contribution significative à la diffusion du patrimoine spirituel, ouvrant la voie à d'autres productions similaires sur les plateformes de streaming.



 
Avec les interventions de :

Evêque Andy Lewter, de la Confrérie de l’Evangile de l’église baptiste 

Rabbin Maurice Harris, auteur de « Moses, stranger among us » 

Tom Kank pasteur principal  de l’église de Newstory 

Docteur Celene Ibrahim, auteure de « women and gender in the Quran » 

Rabbin Schlomo Einhorn, doyen de la yeshiva Yavné

Peter Enns professeur d’études bibliques 

Rabbin Rachel Adelman professeur de bible hébraïque à l’Hebrew College 

Nick Brown égyptologue

Monica Hamman professeur d’archéologie 

Shady Nasser professeur de civilisation et de langues orientales à Harvard 

Jonathan Kirsh, auteur « Moses, a life » 

Carole Meyers, professeur de religion à l’université de Duke

 


 

NOTES


[1] Coran 28,15

[2] Dans le livre des Nombres (chapitre 12 verset 1), Myriam la sœur de Moïse et Aaron son frère s’en prennent à Moïse à cause de la femme koushite/éthiopienne qu’il a épousé. Certaines thèses parlent de Tsipora, mais d’autres mentionnent une femme nommée Tharbis (Antiquités judaïques, Flavius Josèphe, livre II, chapitre 10), ce qui indiquerait que Moïse aurait eu deux épouses.

[3] Houmach p23 commentaire du verset16 chapitre 2 « le pontife » en hébreu le Kohen, désigne ici le plus grand des prêtes. Il avait abjuré de l’idôlatrie Midrash Tan’houma 11)

[4] Est-ce le commentaire du verset 28,25, qui mentionne d’après Ibn Abi Hatim que d’après ‘Amr iBn Maymoun, Safura vint vers son père en marchant timidement et en se couvrant le visage de sa robe, cité dans le tafsir d’ibn Kathir, éditions daroussalam volume 7, 2010, p406 avec la source At Tabari 19/559 ?

[5] Exode Chapitre 5 verset 27

[6] Le récit de la Torah (Exode chapitre 2 verset 2) indique qu’il a été caché durant trois mois. Les commentaires indiquent que c’est parce que Yokebed a donné naissance à Moïse alors qu’elle était à 6 mois de grossesse. Ainsi les soldats de Pharaon avaient compté trois mois de plus pour venir chercher le nouveau né. Il n’est pas fait mention d’une cachette dans la maison au moment où les soldats sont venus, mais d’une période de trois mois où l’enfant était caché dans la maison.

[7] En effet, un célèbre midrash raconte qu'un jour Moïse, jouant sur les genoux du pharaon, lui dérobe sa couronne. Y voyant un mauvais présage, les mages du monarque suggèrent à celui-ci la mise à mort immédiate de l'enfant. Mais Moïse est finalement mis à l’épreuve : il est placé devant un plateau de diamants et de braises ardentes. Moïse se précipite vers le plateau de diamants, mais trébuche (à la suite de l'intervention de l’ange Gabriel) vers les braises ardentes. Dans sa frayeur, il porte ses doigts à la bouche et se brûle la langue et les lèvres. C'est de là que vient le bégaiement de Moïse. Quant à sa bouche, un pansement y est mis. Quand celui-ci est retiré, il perd un morceau important de sa lèvre. Moïse est désormais « lourd de bouche et lourd de langue » (Ex 4,10-11). Le même commentaire est effectué dans le tafsir de la sourate 43 verset 52 (Ne suis-je pas meilleur que ce misérable qui sait à peine s’exprimer ?) ou encore le verset 20,27 (Et détache le nœud de ma langue, afin qu’ils comprennent mieux mon discours.)

[8] Contenu vérifié : Houmach Chemot chapitre 2 p17 : cité dans le Midrash Amoth

[9] Il s’agit d’un hadith (une parole prophétique) rapportée par Tirmidhi 3107

[10] Coran 7,150-151 « Et lorsque Moïse retourna à son peuple, fâché, attristé, il dit: «Vous avez très mal agi pendant mon absence! Avez-vous voulu hâter le commandement de votre Seigneur?» Il jeta les tablettes et prit la tête de son frère, en la tirant à lui: «Ô fils de ma mère, dit (Aaron), le peuple m’a traité en faible, et peu s’en est fallu qu’ils ne me tuent. Ne fais donc pas que les ennemis se réjouissent à mes dépens, et ne m’assigne pas la compagnie des gens injustes». Et (Moïse) dit: «Ô mon Seigneur, pardonne à moi et à mon frère et fais-nous entrer en Ta miséricorde, car Tu es Le plus Miséricordieux des miséricordieux». » et Coran 20,90 «Certes, Aaron leur avait bien dit auparavant: «Ô mon peuple, vous êtes tombés dans la tentation (à cause du veau). Or, c’est le Tout Miséricordieux qui est vraiment votre Seigneur. Suivez-moi donc et obéissez à mon commandement».»

[11] En effet, il s’agit d’une allusion à l'épisode relaté dans Exode, 17, 8-16 de l'attaque des hébreux par Amalek, qui a le dessus quand Moïse baisse les bras, mais qui sont vaincus quand Aaron et Hur relèvent les bras de Moïse.

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