Ce mercredi 27 mars sort la série « Testament, l’histoire de Moïse », constituée de trois épisodes de 1h20. Réalisé et co-écrit par Benjamin Ross (« Les Chroniques de Frankenstein »), « Testament » retrace la vie de Moïse de sa naissance jusqu’à sa mort. Le premier épisode (« Le Prophète ») traite de sa naissance, de son exil et de son retour en Égypte ; la seconde (« Les Plaies ») voit Moïse se jeter avec le Pharaon sur tous ces Hébreux réduits en esclavage ; et le troisième (« La Terre Promise ») suit notre homme du sommet de la montagne alors qu’il conduit son peuple au salut.
Cette série utilise un mode de narration hybride : environ la moitié des scènes sont mises en scène (avec, principalement, Avi Azulay interprétant Moïse, mais aussi Mehmet Kurtuluş dans le rôle de Pharaon, Dominique Tipper dans celui de Tsipporah, Ishai Golan dans celui d’Aaron et Tülay Günal dans le rôle de Bithia) et des effets visuels passables représentant divers fléaux et miracles – et l’autre moitié contient des entretiens peu curieux avec des prêtres, des rabbins, des théologiens et des historiens, dont les points de vue (introduits par un message informatif au début de l’épisode 1) sont précisés comme étant destinés à « enrichir le récit ... mais ne doivent pas être compris comme un consensus.
Première impression en lisant ce message : mmh, le réalisateur a pris des libertés, et nous, chez ILETAIT1FOI, on n’aime pas ça. Mais bon, nous décidons de poursuivre tout de même, on ne va pas s’arrêter alors que le générique n’a même pas débuté !
EPISODE 1 :
L’épisode commence par l’adoption de Moïse par la fille de Pharaon : première remarque : ceci est l’angle de la Torah. En effet, dans l’islam, c’est la femme de Pharaon qui agit, Assiya et non sa fille. Mais nous ne nous attendions pas à un angle islamique (cependant dans le dessin animé Le Prince d’Egypte, c’est la femme de Pharaon, Mouttouya, la femme de Séthi Ier qui adopte Moïse). A la mort de Sethi, le documentaire présente Ramses 2 comme étant l’oncle de Moïse.
L’épisode commun à la Torah et au Coran où Moïse, surprenant un Egyptien maltraitant un esclave hébreu, le tue, est reproduit d’une manière violente. Moïse assène plusieurs coups de pierres à la tête de l’Egyptien, là où le Coran parle d’un coup de poing[1].
Immédiatement, Moïse fuit et rencontre sa future épouse Tsipora ainsi que son père Jethro (Safura et Chu’ayb dans le Coran). Ils sont représentés noirs, ce qui correspond aux thèses théologiques des origines koushites de Tsipora[2]. Ils sont présentés dans la série comme faisant partie d’un « clan de pasteur nomade », alors que la Torah le considère comme grand prêtre et que le Coran le décrit comme prophète[3].
Erreur relevée dans l’intervention d’un des professeurs de Harvard : il cite que « dans le Coran, il y a un passage amusant où Tsipora marche devant Moïse, le vent souffle et soulève un peu sa jupe. Moise ne regarde pas et marche devant elle pour ne pas avoir le regard attiré. Les filles de Chu’ayb disent que Moïse est fort et digne de confiance. » Ce passage n’apparaît pas dans le Coran[4].
Le mariage de Moïse et Tsipora correspond tout à fait au rituel juif dans le mariage : la houppa, le verre cassé. Attention, il y a une scène avec un baiser après le mariage, ainsi qu’après la naissance de leur premier enfant Guershom.
Plusieurs éléments étonnants viennent ponctuer ce premier épisode :
- Moïse s’interroge à un moment en demandant « est-ce encore des ismaélites qui viennent nous faire des problèmes ? »
- Aaron, le frère de Moïse (qui dans la Torah va à sa rencontre au désert[5], mais dans le reportage retrouve Moïse dans un genre de taverne) raconte à Moïse comment sa mère Yokébed a sauvé Moïse grâce à Dieu : il se cache avec Moïse dans une cachette (un trou dans le mur de la maison), et le serre très fort pour qu’il ne pleure pas au moment où les Egyptiens, conformément à l’ordre de Pharaon de tuer tous les premiers nés garçons, se rendent dans les maisons pour y chercher les bébés. Lorsque les Egyptiens partent, Aaron sort et Moïse ne respire plus. Yokébed pleure, et après quelques minutes, Moïse revient à lui, et pleure[6].
- Exode 4,19 il retourne en Egypte et une scène fait dire à Tsipora qu’elle ne croit pas du tout en ce Dieu.
- Dans le documentaire, Moïse retrouve sa mère Yokebed et passe même beaucoup de temps avec elle.
- Un des intervenants commente un verset coranique stipulant que Moïse avait un noeud dans la bouche et se demande comment interpréter le passage avec la bouche nouée : le tafsir (le commentaire exégétique) est pourtant bien connu, puisqu’il reprend lui-même un commentaire midrashique[7].
- Les hébreux posent beaucoup de questions à Moïse, qui leur explique des choses sur la Genèse : parle d’Adam, Eve Noé Isaac Jacob Esau … Ce qui reste étonnant étant donné que les dialogues présents dans les Ecritures concernent surtout la situation présente des hébreux : le fait que Moïse doive libérer son peuple. On retrouve d’ailleurs le don de la Torah (et donc, le fait d’avoir tous les enseignements codifiés dans la Torah, avec les histoires mentionnées dans ce passage) plus tard dans le récit.
EPISODE 2
L’épisode 2 débute avec le don d’une tunique à Moïse : celle qui a appartenu à Jacob et ensuite aux prophètes de la lignée.
On en apprend davantage sur Bithia : il est dit qu’elle venait de donner naissance à un mort-né, et qu’en pleurant près du Nil elle a aperçu l’enfant dans le couffin. Elle a tendu la main pour l’attraper et son bras s’est allongé et a doublé de longueur[8]. Son nom, Bithia, signifie qu’elle a été adoptée par Dieu « bat ya, la fille du dieu des hebreux ». C’est l’explication midrashique du fait qu’elle a donné un nom hébreu à Moise.
L’épisode 2 offre un magnifique discours qui répond aux questions des non-croyants et qui touche les croyants : les hébreux, à bout de force car plus Moïse insiste et plus Pharaon durcit les règles des esclaves, demandent à Moïse pourquoi Dieu laisse faire cela, alors que s’Il pouvait Il règlerait cette situation plus rapidement. La réponse de Moïse est magnifique, et nous décidons de ne pas la dévoiler afin de laisser le plaisir de le découvrir par vous-même si vous souhaitez regarde la série.
La fin de l’épisode montre que Bithia est du côté de Moise, ce qui se rapproche davantage de la vision de Assiya dans le Coran, qui elle aussi, avait adhéré secrètement à la religion de Moïse, en rejetant la divinité de Pharaon. L'islam la considère martyre, car Pharaon l'a torturée en apprenant la nouvelle.
EPISODE 3 :
Justement, l’épisode 3 poursuit avec la description de l’attitude de Bithia : elle défie même Pharaon et ne se prosterne pas. Dans le midrash, elle apparaît comme étant sauvée de la dernière plaie (la mort des ainées, Bithia étant l’aînée de Sethi) parce qu’elle a cru au message de Moïse. L’intervenante musulmane raconte l’histoire de Assiya, qui, en revanche n’est pas sauvée et meurt martyre, torturée par Pharaon. Alors que dans le reportage, Bithia accompagne les hébreux dans leur traversée de la mer jusqu’en Terre Promise.
On a évidemment grincé des dents lorsque la traduction française sous-titre un intervenant mentionnant le commentaire de l’ange Gabriel qui a dit à Muhammad que les deux personnes qu’il détestait le plus étaient Satan et Pharaon, et que Gabriel avait mis de la boue dans la bouche de Pharaon pour ne pas qu’il se convertisse[9]. Muhammad est sous-titré « Mahomet ». Les reportages en français ne peuvent pas s’en empêcher ^^
Grosse différence dogmatique de taille : au moment de l’épisode du Veau d’or, dans le documentaire on suit la vision de la Torah selon laquelle Aaron est tombé dans le polythéisme en construisant le Veau d’or, tandis que le Coran disculpe Aaron d’un tel péché. Le peuple est tombé dans le polythéisme, mais Aaron a tout fait pour les en empêcher[10].
Le documentaire aborde la bataille d'Amalek. Point de culture G : l’expression « baisser les bras » pour signifier « abandonner » est tirée de cet épisode de la Torah qui illustre Moïse[11].
Notre conclusion
Le récit multiconfessionnel peut sembler incomplet pour les prêtres, les rabbins et les imams. Si l’on regarde ce documentaire en espérant un retraçage exact des Ecritures, on peut être déçus, surtout que les récits de la Torah et du Coran à propos de Moïse présentent des différences qui, forcément, déplairont à l’un ou l’autre suivant l’angle adopté. Mais, la présence de ce documentaire sur une plateforme de grande envergure comme Netflix peut s’avérer bénéfique pour les jeunes d’aujourd’hui qui préfèreront regarder cette série plutôt que d’écouter les sermons traditionnels. Nous partons de toute façon du principe qu’un contenu religieux visionné par un jeune doit être accompagné par les parents afin d’être commenté, corrigé etc.
De plus, les personnes qui aiment faire des liens avec notre époque moderne apprécieront certains commentaires des historiens, théologiens etc. Le rabbin Shlomo Einhorn évoque « la justice sociale », le Dr Carol Meyers « la désobéissance civile ». Le rabbin Maurice Harris souligne les risques « extraordinaires » que les femmes ont pris pour protéger Moïse et le Dr Celene Ibrahim mentionne « une révolution », et le pasteur Andy Lewter n’hésite pas à établir un parallèle avec l’histoire de Martin Luther King Jr.
En somme, dans l’ensemble, nous avons apprécié le documentaire, et espérons que la plateforme prendra l’initiative de partager davantage de contenu « religieux ».
N’hésitez pas à nous faire part de vos réactions si vous décidez vous aussi de regarder cette série documentaire.
Avec les interventions de :
Evêque Andy Lewter, de la Confrérie de l’Evangile de l’église baptiste
Rabbin Maurice Harris, auteur de « Moses, stranger among us »
Tom Kank pasteur principal de l’église de Newstory
Docteur Celene Ibrahim, auteure de « women and gender in the Quran »
Rabbin Schlomo Einhorn, doyen de la yeshiva Yavné
Peter Enns professeur d’études bibliques
Rabbin Rachel Adelman professeur de bible hébraïque à l’Hebrew College
Nick Brown égyptologue
Monica Hamman professeur d’archéologie
Shady Nasser professeur de civilisation et de langues orientales à Harvard
Jonathan Kirsh, auteur « Moses, a life »
Carole Meyers, professeur de religion à l’université de Duke
NOTES
[1] Coran 28,15
[2] Dans le livre des Nombres (chapitre 12 verset 1), Myriam la sœur de Moïse et Aaron son frère s’en prennent à Moïse à cause de la femme koushite/éthiopienne qu’il a épousé. Certaines thèses parlent de Tsipora, mais d’autres mentionnent une femme nommée Tharbis (Antiquités judaïques, Flavius Josèphe, livre II, chapitre 10), ce qui indiquerait que Moïse aurait eu deux épouses.
[3] Houmach p23 commentaire du verset16 chapitre 2 « le pontife » en hébreu le Kohen, désigne ici le plus grand des prêtes. Il avait abjuré de l’idôlatrie Midrash Tan’houma 11)
[4] Est-ce le commentaire du verset 28,25, qui mentionne d’après Ibn Abi Hatim que d’après ‘Amr iBn Maymoun, Safura vint vers son père en marchant timidement et en se couvrant le visage de sa robe, cité dans le tafsir d’ibn Kathir, éditions daroussalam volume 7, 2010, p406 avec la source At Tabari 19/559 ?
[5] Exode Chapitre 5 verset 27
[6] Le récit de la Torah (Exode chapitre 2 verset 2) indique qu’il a été caché durant trois mois. Les commentaires indiquent que c’est parce que Yokebed a donné naissance à Moïse alors qu’elle était à 6 mois de grossesse. Ainsi les soldats de Pharaon avaient compté trois mois de plus pour venir chercher le nouveau né. Il n’est pas fait mention d’une cachette dans la maison au moment où les soldats sont venus, mais d’une période de trois mois où l’enfant était caché dans la maison.
[7] En effet, un célèbre midrash raconte qu'un jour Moïse, jouant sur les genoux du pharaon, lui dérobe sa couronne. Y voyant un mauvais présage, les mages du monarque suggèrent à celui-ci la mise à mort immédiate de l'enfant. Mais Moïse est finalement mis à l’épreuve : il est placé devant un plateau de diamants et de braises ardentes. Moïse se précipite vers le plateau de diamants, mais trébuche (à la suite de l'intervention de l’ange Gabriel) vers les braises ardentes. Dans sa frayeur, il porte ses doigts à la bouche et se brûle la langue et les lèvres. C'est de là que vient le bégaiement de Moïse. Quant à sa bouche, un pansement y est mis. Quand celui-ci est retiré, il perd un morceau important de sa lèvre. Moïse est désormais « lourd de bouche et lourd de langue » (Ex 4,10-11). Le même commentaire est effectué dans le tafsir de la sourate 43 verset 52 (Ne suis-je pas meilleur que ce misérable qui sait à peine s’exprimer ?) ou encore le verset 20,27 (Et détache le nœud de ma langue, afin qu’ils comprennent mieux mon discours.)
[8] Contenu vérifié : Houmach Chemot chapitre 2 p17 : cité dans le Midrash Amoth
[9] Il s’agit d’un hadith (une parole prophétique) rapportée par Tirmidhi 3107
[10] Coran 7,150-151 « Et lorsque Moïse retourna à son peuple, fâché, attristé, il dit: «Vous avez très mal agi pendant mon absence! Avez-vous voulu hâter le commandement de votre Seigneur?» Il jeta les tablettes et prit la tête de son frère, en la tirant à lui: «Ô fils de ma mère, dit (Aaron), le peuple m’a traité en faible, et peu s’en est fallu qu’ils ne me tuent. Ne fais donc pas que les ennemis se réjouissent à mes dépens, et ne m’assigne pas la compagnie des gens injustes». Et (Moïse) dit: «Ô mon Seigneur, pardonne à moi et à mon frère et fais-nous entrer en Ta miséricorde, car Tu es Le plus Miséricordieux des miséricordieux». » et Coran 20,90 «Certes, Aaron leur avait bien dit auparavant: «Ô mon peuple, vous êtes tombés dans la tentation (à cause du veau). Or, c’est le Tout Miséricordieux qui est vraiment votre Seigneur. Suivez-moi donc et obéissez à mon commandement».»
[11] En effet, il s’agit d’une allusion à l'épisode relaté dans Exode, 17, 8-16 de l'attaque des hébreux par Amalek, qui a le dessus quand Moïse baisse les bras, mais qui sont vaincus quand Aaron et Hur relèvent les bras de Moïse.
Comments