top of page
Photo du rédacteurbarbara-moullan

Religions au travail : Que nous apprend le baromètre 2024 ?


A la première lecture du rapport l'Institut Montaigne sur le fait religieux en entreprise 2024, on distingue un paysage social et professionnel en mutation complexe. En effet, dans un contexte sociétal en constante évolution, le document de 96 pages révèle des transformations profondes et nuancées des dynamiques religieuses dans le monde professionnel français.


Une Progression Significative des Faits Religieux

En 2024, le baromètre établit un constat sans précédent : plus de 71% des entreprises françaises sont désormais confrontées à des situations impliquant des faits religieux, un niveau record depuis 2013. Ces manifestations prennent diverses formes, du port de signes religieux aux demandes d'aménagements spécifiques.

Islam et Diversité Religieuse : Un Panorama Changeant

L'islam émerge comme la religion la plus représentée, présente dans 81% des situations rapportées, contre 73% en 2022. Cette progression s'accompagne d'une diversification des expressions religieuses, avec une visibilité croissante des cultes évangéliques et une présence persistante du catholicisme.

Tensions et Discriminations : Un Défi Managérial

Le rapport met en lumière des défis préoccupants :
  • 71% des discriminations à l'embauche concernent des personnes musulmanes
  • La stigmatisation des employés juifs a doublé depuis 2022, atteignant 32%
  • Seulement 54% des situations religieuses bénéficient d'une intervention managériale efficace

Des Comportements en Évolution

Les comportements liés au fait religieux montrent une complexité grandissante :
  • 44% des salariés pratiquants déclarent porter des signes religieux au travail
  • 15% des situations incluent des comportements négatifs envers les femmes
  • Les hommes jeunes, peu qualifiés et musulmans sont les plus impliqués dans les situations problématiques

Perception et Laïcité : Un Équilibre Délicat

Paradoxalement, si 64% des répondants placent la liberté religieuse comme principe directeur, 77% estiment que la laïcité devrait s'appliquer également dans le secteur privé. Cette vision traduit une tolérance conditionnelle de l'expression religieuse.

NOTRE COMMENTAIRE


Le rapport de l'Institut Montaigne ne se contente pas de dresser un état des lieux, il nous invite à considérer plusieurs éléments. Tout d'abord, on remarque que dans les descriptions des situations rapportées, ou les témoignages de certains salariés, les racines des tensions se trouvent dans l'ignorance et la mécompréhension. Les données révèlent que les conflits émergent principalement de trois facteurs : un manque de connaissances théologiques, des peurs irrationnelles et des stéréotypes non questionnés, les deux derniers nous semblant découler du premier.

La salariée catholique qui se fait insulter parce qu'elle possède un élément lié à la Vierge Marie sur son bureau, ou le salarié musulman qui se fait convoquer pour intégrisme parce que ses collègues savent qu'il prie démontrent que les tensions sont, ici, surtout liées aux idées reçues, véhiculées et alimentées dans la sphère médiatique.

Evidemment, le prisme que nous abordons va en faveur de notre domaine : selon nous, la théologie comparée est un outil de désamorçage des tensions. La compréhension approfondie des différentes traditions religieuses apparaît comme un levier essentiel de résolution des conflits. Cela permettrait de réellement faire la part des choses entre ce qui est décrit comme un élément de problématique et une pratique classique. Dans les récentes affaires auxquelles nous avons été confrontés, nous avons des exemples concrets :

Situation :
Une femme pour qui le voile en soi n'est pas le problème, mais ce qu'il représente et véhicule. Citons : " une femme qui porte le voile aujourd'hui n'est pas juste une femme qui couvre ses cheveux avec un morceau de tissu. Elle porte le sang des innocents, des mécréants, des opposants politiques, elles portent l'enfermement et la soumission des femmes, elles portent leur destruction et la destruction de nos civilisations occidentales." (RESEAUX SOCIAUX) Ce qui revient relativement à la même anecdote qu'il y a deux ans, lors de la quinzaine de la laïcité à Rennes, où suite à une conférence d'un juriste sur le voile, une auditrice avait pris la parole pour exprimer à quel point, citons "elle qui s'était battue pour la liberté de la femme, qui avait fait mai 68, ne supportait pas la violence de voir une femme voilée devant elle".

Avec cet état d'esprit, la source de tension est évidente. La vision d'une collègue voilée va réveiller des peurs, des ressentiments forts, liés à la mauvaise compréhension de ce qu'est le voile. Ces réactions vont provoquer chez la femme qui porte le voile un sentiment de discrimination intense, une peur d'aller au travail, un malaise en compagnie de ses collègues. Et la machine s'enclenchera ainsi.

En définitive, ce rapport pourrait ne pas décrire qu'une menace mais pourrait devenir une opportunité d'évolution de l'entreprise si elle est concernée par les tensions liées au fait religieux.
Mais, nous le savons que trop bien, la libération de la parole raciste, ouvertement antisémite et islamophobe constitue un terreau fertile à la multiplication des tensions religieuses en entreprise, contribuant paradoxalement à la hausse des signalements et à l'exacerbation des conflits. Ce phénomène s'inscrit dans un contexte sociopolitique où la parole discriminatoire se banalise, trouvant bien trop souvent légitimité dans certains discours médiatiques et politiques.

L'augmentation des signalements n'est pas uniquement le fruit d'une plus grande transparence, mais révèle une stratégie délibérée de polarisation. Certains acteurs utilisent désormais le fait religieux comme un levier de confrontation, transformant les différences culturelles et cultuelles en terrain de guerre idéologique. La multiplication des plateformes numériques et des espaces de discussion a amplifié ce phénomène, permettant la diffusion rapide de discours de haine et la création de communautés de ressentiment.

Cette dynamique s'alimente d'un cercle vicieux : plus les discriminations sont rendues visibles et banalisées, plus les groupes minoritaires se sentent stigmatisés, conduisant à des mécanismes de défense et de contre-affirmation identitaire. Les entreprises se retrouvent ainsi piégées dans un dispositif de tension permanent, où chaque fait religieux devient potentiellement un élément de confrontation

L'objectif sous-jacent de ces stratégies de tension est souvent l'invisibilisation, voire l'éradication de la diversité. En créant un environnement hostile, ces acteurs espèrent décourager toute expression religieuse différente, forçant une uniformisation qui nie la réalité multiculturelle de la société française contemporaine. C'est un mécanisme subtil de domination qui utilise le harcèlement et la stigmatisation comme outils de pression.

Le rapport de l'Institut Montaigne met en lumière cette dynamique perverse : la hausse des signalements n'est pas nécessairement le signe d'une augmentation des faits religieux problématiques, mais plutôt l'expression d'une intolérance grandissante et d'une volonté de cristallisation des tensions autour des appartenances religieuses.

Ainsi nos recommandations concrètes pour les entreprises vont dans le sens d'une formation théologique mais aussi interculturelle (les deux étant souvent mélangés), avec la mise en place des formations obligatoires sur la théologie comparée, mais aussi la création de modules de sensibilisation conte les préjugés par des experts en dialogue interreligieux.

D'autant plus que cela se vérifie souvent, investir dans le dialogue interreligieux au sein d'une entreprise est un investissement stratégique de taille : plus qu'une démarche éthique, c'est un avantage concurrentiel, puisqu'il contribue à l'amélioration du climat social, l'augmentation de la productivité, l'attraction des talents ... Une entreprise où la religion n'est pas un problème est une entreprise où l'on se concentre sur son travail et non sur le malaise qui découle de situations qui deviennent vite récurrentes.



Comments


bottom of page