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La Modest Fashion : au-delà des polémiques, une réalité économique et sociétale

Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Un marché florissant dans un contexte controversé

La "modest fashion" représente aujourd'hui un secteur économique majeur, générant près de 44 milliards de dollars en 2022. Ce segment a constitué 40% des ventes de prêt-à-porter de luxe féminin en 2018, englobant tant les vêtements destinés à la clientèle musulmane que d'autres styles considérés comme modestes[1].


Au-delà des clichés : une tradition multiconfessionnelle

Une controverse ciblée

En France, le débat sur la "modest fashion" se cristallise presque exclusivement autour de la communauté musulmane. De nombreux responsables politiques évoquent le port du voile comme un potentiel symbole d'inégalité entre les sexes, particulièrement lorsqu'il résulte de pressions sociales ou religieuses, le considérant incompatible avec les principes républicains d'égalité[2].


Un traitement médiatique restrictif

Les médias français tendent à réduire la "modest fashion" à sa dimension moyen-orientale. Certains organes de presse affirment, de manière réductrice, que ce mouvement "trouve sa source au Moyen-Orient" et est "particulièrement associé à la mode musulmane"[3]. Cette vision ignore délibérément la diversité des traditions vestimentaires modestes à travers le monde.


Une réalité multiconfessionnelle méconnue

Cette focalisation médiatique révèle une méconnaissance profonde du fait religieux en France. Alors que l'abaya et le qamis occupent l'actualité, la pudeur vestimentaire constitue un élément central de nombreuses autres confessions :

  • Les Mormons

  • Les Amish

  • Les Juifs orthodoxes

  • Les Chrétiens orthodoxes

  • Les Catholiques pratiquants


Hommes et femmes de ces communautés observent, à des degrés divers, des codes vestimentaires modestes.


Un phénomène plus large ignoré

Paradoxalement, le "retour à la pudeur" observé depuis 2022 chez les jeunes femmes pratiquantes, notamment chrétiennes, avait fait l'objet d'une couverture médiatique significative. Des médias aussi divers que La Croix, Marianne, Valeurs Actuelles, France 24 et Libération avaient traité ce phénomène, comme en témoigne une simple recherche sur "voile chrétien tiktok". Cependant, dans le contexte polémique actuel, cette dimension plurielle du fait religieux s'efface au profit d'une controverse médiatique focalisée sur l'Islam.

Cette approche réductrice du phénomène de la "modest fashion" illustre la nécessité d'une compréhension plus approfondie et nuancée du fait religieux dans sa globalité, au-delà des polémiques médiatiques et politiques.


Certains politiciens estiment que le port du voile peut symboliser ou perpétuer des inégalités entre les sexes, en particulier lorsqu'il est associé à des pressions sociales ou religieuses pour que les femmes se couvrent. IA ce titre, on remarque même que des journaux affirment que « Trouvant sa source au Moyen-Orient, la « modest fashion » gagne en popularité à l'échelle mondiale, y compris en France. » Les termes « modest fashion », littéralement « mode modeste » en français, font référence à une tendance inspirée à l'industrie textile par les pays du Golfe. Ces collections sont particulièrement associées à la mode musulmane, puisque ces vêtements répondent aux exigences de « modestie » dictées par l'islam».[3] Au secours !



La Tsniout : racines spirituelles de la pudeur vestimentaire

Une valeur fondamentale du judaïsme

La tsniout (avec la racine hébraïque ע-נ-צ, tz-n-’a), est un mot souvent traduit par « pudeur », est une valeur centrale du judaïsme. En effet, hommes comme femmes portent un couvre-chef afin de « s’humilier devant Dieu »[4]. Il s’agit de la Kippa pour les hommes, quant aux femmes, après leur passage sous l’arche de mariage (la houppa), elles se couvrent la tête à l’aide d’un kissouy (un foulard) ou, pour certains ashkénazes, une perruque. Le terme Tsniout englobe trois dimensions théologiques : une aspiration « au secret comme condition préalable à la sainteté », un sentiment de « kavod » (dignité personnelle) et le « respect de l’inviolabilité de la vie privée de l’individu »[5].


Ce concept religieux trouve son origine dans le texte révélé, notamment par le prophète Michée 6,8 On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien; Et ce que l'Eternel demande de toi, C'est que tu pratiques la justice, Que tu aimes la miséricorde, Et que tu marches humblement avec ton Dieu dont l’exégèse du verset indique que le fait d’être humble va aussi avec le fait de s’habiller de manière modeste, comme indiqué dans le verset de Proverbes 11,2 où le terme hébreu pour modeste renvoie à la tsniout.



La pudeur comme protection sociale

Il s’agit également d’œuvrer en faveur d’un espace public sain. En effet, d’après une citation du rabbin Zev Farber[6], « des vêtements trop révélateurs distraient les autres et sexualisent les interactions interpersonnelles. Notre choix vestimentaire doit témoigner du respect des autres personnes. L’idée de base derrière la Tsniout – et j’utilise ce terme pour désigner la modestie dans le domaine sexuel plutôt que l’humilité – c’est désexualiser l’espace public et les interactions entre hommes et femmes ». Cette perspective trouve un écho particulier dans le contexte actuel, où la France a enregistré 34 300 viols en 2021, soit une augmentation de 32% par rapport à 2020[7].


Ce discours fait référence à un interview en podcast de Sally Quinn, la fondatrice et co-modératrice de On Faith, blog du magazine Washington Post. Interrogée à propos de la pudeur dans les tenues vestimentaires religieuses, elle avait dit « le prophète Muhammad avait plusieurs femmes, et il ne voulait pas qu’elles soient harcelées quand elles sortaient, parce que les gens les reconnaîtraient. Alors elles se couvraient la tête avec un foulard pour que les gens ne les reconnaissent pas et qu’elles puissent marcher librement, vous savez, dans les rues, sans que les gens les pointent du doigt et sachent qui elles étaient. C’était un peu la façon d’aujourd’hui des stars de cinéma portant des foulards et des lunettes noires pour ne pas se faire reconnaître ».


Et cette opposition « pudeur-se cacher / liberté sexuelle » est bien souvent mise en avant dans les discours politiques. En 2016, à Colomiers, Manuel Valls déclarait : « Marianne elle, a le sein nu parce qu'elle nourrit le peuple, elle n'est pas voilée parce qu'elle est libre ! C'est ça la République ! »


Le 26 février 2019, Jean Quatremer déclarait sur l’ancien Twitter :


L'héritage vestimentaire français

Une tradition oubliée

Il faut reconnaître que cette « nouvelle valeur républicaine » d’une mode associée à la libération des mœurs est plutôt moderne. En effet, si l’on s’intéresse à « la mode française », ce que l’on appelle les « costumes régionaux » étaient plus que pudiques. En France, l'abandon progressif de ces habits régionaux a été un processus qui a débuté au cours de la Révolution industrielle : l'industrialisation a permis la production à grande échelle de textiles et de vêtements, ce qui a entraîné une uniformisation croissante de la mode. Les vêtements fabriqués en série étaient plus abordables et plus faciles à obtenir que les habits régionaux traditionnels. La Révolution industrielle a entraîné une migration significative des populations des zones rurales vers les zones urbaines à la recherche d'emplois dans les usines et les industries. Dans les villes, la mode urbaine a souvent prévalu sur les habits régionaux plus ruraux, et moins pratiques pour travailler. L’influence de la classe sociale a également fait en sorte que les habits régionaux soient associés à la classe ouvrière et paysanne, tandis que la classe bourgeoise s’est distinguée par un autre style[8].

Cependant, il est important de noter que dans certaines régions de France, les habits traditionnels ont perduré plus longtemps en raison de facteurs culturels, historiques ou économiques spécifiques. De nos jours, il existe encore des festivals, des événements et des communautés qui préservent et valorisent les habits régionaux en tant que partie importante de l'identité culturelle française, même s'ils ne sont plus portés au quotidien.


Attardons-nous sur ce point.

Le vêtement comme marqueur social et politique


Nombre d’études montrent, ainsi, en quoi les vêtements sont des outils de communication identitaires et servent à afficher un statut social, politique ou religieux ainsi qu’à connoter des manières d’être. Andrew Stewart, Hans Van Wees et James Davidson questionnent en ce sens la nature des vêtements et leur message social dans la culture grecque des époques archaïque et classique[9].

C’est d’ailleurs ce qui est reproché actuellement aux lycéens qui arborent des vêtements couvrants : être « l’instrument de l’islam politique »[10]. A quoi, s’ils sont interrogés, ils répondent « ce n’est pas religieux, c’est culturel ».

Le vêtement comme vecteur politique l’a plus ou moins toujours été dans un contexte étatique. Les gouvernements et les autorités politiques peuvent réglementer le port de certains vêtements, notamment en ce qui concerne les uniformes, les symboles politiques, les codes vestimentaires dans les écoles, et les tenues à porter au sein de l’hémicycle. Car la liberté vestimentaire en politique est très restreinte, et l'a toujours été. «Louis XIV montrait avec ses parures extraordinaires que le pays était riche, puissant, et c'est ce que le peuple attendait des rois. Un tableau de Marie-Antoinette peint par Louise-Elisabeth Le Brun avait ainsi fait scandale car elle y était représentée en simple robe blanche. Aucune loi ne l'interdisait, mais on attendait de la part de la reine qu'elle envoie un autre message.»[11]

Et cette volonté d’un costume « français » s’illustre bien par cette célèbre anecdote : le 17 avril 1985, le ministre socialiste de la Culture Jack Lang se présente en costume Thierry Mugler – une marque de prêt-à-porter de luxe– à l’Assemblée nationale. Le col est mao (du nom du col porté par Mao Zedong lorsqu'il dirigeait la République populaire de Chine) et la cravate présente mais invisible. Le député Gabriel Kaspereit (rpr, Rassemblement pour la République) avait alors demandé à Jack Lang de s’habiller « comme tous les Français », tandis qu’un autre, non identifié, lui aurait conseillé de venir en « djellaba ». Ce qui prouve que le « vêtement de travail » des politiques s’inscrit dans ce qu’ils considèrent devoir appartenir à « un style national ».

Le vêtement dans la construction identitaire des jeunes


Et puisqu'il est question d'une tenue nationale, parlons un peu des jeunes et de l'identification.
L’adolescence est une période de construction de soi dans un débat permanent avec les autres, surtout les autres en soi dans la mesure où la quête majeure du jeune est alors celle des limites : savoir ce que les autres peuvent attendre de lui et ce que lui peut attendre des autres. La fonction d’autorité déserte nos sociétés. Le relâchement du lien social, s’il procure un champ de manœuvre accru à l’individu, le détache simultanément de son sentiment d’appartenance, il induit « une inflation de subjectivité »[12]. Le souci d’être soi n’impose plus la référence suprême à une norme extérieure, elle laisse désormais une marge sur ce qui paraît possible à l’instant. « Venez comme vous êtes » affiche-t-on désormais sur une célèbre enseigne.

Nous parlions de vêtements culturels : les jeunes générations sont les premiers promoteurs de la mondialisation marchande. « Plus que quiconque, écrit Naomi Klein[13], ces adolescents de classe moyenne, bardés de logos, résolus à se couler dans un monde fabriqué par les médias, sont devenus les puissants symboles de la mondialisation, ces jeunes vivent non seulement dans un lieu géographique mais aussi dans une boucle de consommation mondiale[14].

L’impératif de la représentation concerne totalement les adolescentes. Les magazines spécialisés des années 90/2000 témoignent, par leurs conseils et les tenues mises en avant cette nécessité de séduire pour exister[15]. Parfois, à peine pubères, elles parent leur corps comme un instrument de légitimation de soi, elles le dénudent en partie, le mettent en valeur, le maquillent, le coiffent, le parent de piercings, de tatouages ou de bijoux, afin de se fabriquer un look. Des jeans taille basse, des shorts, une allure faussement désinvolte, des régimes minceur, ajoutent à la panoplie où elles puisent dans le désir de ressembler à une star quelconque à laquelle elles s’identifient. L’arrivée de la télé-réalité et les candidats offrent une normalisation d’un certain stéréotype féminin[16]. Se rendre populaires et désirables, exister au moins sur la valeur de leur apparence devient une raison de vivre. Fashion victims à leur insu, clones de la publicité et des magazines où elles puisent leurs modèles, elles sont dans la tension permanente de ne pas être reconnues comme elles l’espèrent[17].

En rébellion ou rejet de cette image d’une femme fabriquée et dont l’image est dégradée, certaines adolescentes ont choisi un tout autre style de vie et deviennent, elles-aussi, une autre forme de modèle et d’inspirations pour leurs pairs.

«Bien que les normes juives de vêtements modestes soient en effet basées sur un système patriarcal, de nombreuses normes de mode moderne le sont également, car elles sont conçues pour exciter l’attention du sexe opposé et donc juger ses porteurs dignes d’attention sexuelle. C’est pourquoi j’ai décidé de continuer à suivre les normes associées à une tenue vestimentaire modeste – parce que je sais maintenant que je suis digne de cette attention sans l’aide de vêtements accrocheurs ».[18]


La dimension culturelle des vêtements modestes

Une diversité mondiale


L'étymologie du mot « abaya » est d'origine arabe. Le terme « abaya » (عباية) dérive de la racine arabe « aba » (عبا), qui signifie « couvrir » ou « dissimuler ». L'abaya est conçue pour offrir une couverture modeste et respecter les normes de pudeur conformément aux principes de la religion islamique.

L'étymologie du mot « qamis » est également d'origine arabe. Le terme « qamis » (قميص) vient de la racine arabe « q-m-s », qui signifie « chemise » ou « tunique ». Le qamis est généralement porté comme une chemise longue, descendant jusqu'aux genoux ou même jusqu'aux chevilles, en fonction de la culture et des préférences individuelles. Il peut être porté seul ou accompagné d'autres vêtements, tels qu'un pantalon ou une jupe, en fonction des coutumes locales. Il est également couramment associé à des tenues traditionnelles, comme le « salwar kameez » en Asie du Sud, qui comprend le qamis (kameez) et un pantalon ample (salwar) ainsi qu'un foulard (dupatta). La conception, les couleurs et les ornements du qamis peuvent varier considérablement en fonction de la région et de la culture spécifiques.

Le kimono, un vêtement traditionnel japonais, a gagné en popularité dans le monde de la mode occidentale ces dernières années, devenant un élément important de la « modest fashion » (mode modeste). Les créateurs ont simplement enlevé l’Obi (la ceinture qui se noue dans le dos, la nagajuban (la robe en coton se portant sous le kimono) pour ne garder que les tamoto (les manches larges) et le kimono (long gilet).


Il existe différente manière de se vêtir de manière « modeste » en important des vêtements culturels : le boubou par exemple, est un vêtement traditionnel d'Afrique de l'Ouest, porté principalement par les hommes, qui se caractérise par sa coupe ample, ses couleurs vives et ses motifs décoratifs. En malaisie, le « baju melayu » est une tenue traditionnelle qui consiste en une tunique ample assortie à des pantalons. D’origine javanaise, le « baju kebaya » est une tunique ajustée portée par les femmes, généralement assortie à une jupe ou un pantalon large. Au Pérou, certains groupes indigènes, tels que les Quechuas et les Aymaras, portent des tuniques traditionnelles appelées « unco » ou « uncu » pour les hommes et « pollera » pour les femmes. Ces tuniques sont généralement longues et amples, et elles peuvent être ornées de motifs traditionnels et de couleurs vives.

La question de la laïcité


Le débat actuel se cristallise autour de la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l'école. « Art. L. 141-5-1. - Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

Paradoxalement, certains responsables politiques utilisent un vocabulaire religieux pour décrire l'école :
La laïcité est « la séparation des Eglises et de l’Etat », du religieux du profane. Il est donc assez amusant de citer ceci :
Sarah El Haïry «L’école est un sanctuaire, aucune expression religieuse n’y a sa place » 16 juin 2023
Olivier Veran « « Nous avons toujours été très clairs, l’école c’est le temple de la laïcité » 23 août 2023
Eric Ciotti : « L’école doit être un sanctuaire qui protège nos enfants » 4 septembre 2023

Puisqu’un sanctuaire est le lieu le plus saint d'un temple, d'une église, ainsi qu’un édifice consacré aux cérémonies du culte. Est-il fait référence au culte républicain dans ces citations ?

Le transfert de la sacralité


Utiliser le mot « transfert » peut également nous amener à commencer cette partie en mentionnant l’utilisation de l’argument des autres pays du monde dans lesquels la situation des femmes est critique pour justifier l’interdiction dans notre propre Etat. Tout d’abord, là aussi, le mélange entre géopolitique, contexte d’un Etat, et fait religieux est responsable de la désinformation et de l’injustice commise à cet effet. On transfert les problèmes internes à un Etat dont on ne connait que peu de choses mis à part ce que l’on perçoit des médias étrangers (qui a en plus tendance à changer en fonction des intérêts des uns et des autres).

D’ailleurs en 2014, dans un discours prononcé lors de l’interview télévisé du 14 juillet, François Hollande, en réaction à de vifs débordements en lien avec la géopolitique internationale avait déclaré : « Le conflit israélo-palestinien ne peut pas s'importer. L'antisémitisme ne peut pas être utilisé parce qu'il y a un conflit entre Israël et la Palestine ». Ce qui est tout à fait logique dans cette situation devrait l’être dans toutes les situations se déroulant en dehors de notre territoire. Le racisme et l’islamophobie ne devrait pas être utilisé parce qu’il y a un conflit interne en Iran. De plus, s’il est évident que la contrainte religieuse, comme n’importe quelle forme d’emprise, doit être sanctionnée, il apparaît que les jeunes pointés du doigt ces derniers mois affichent une religiosité assumée et consentie.

On peut tout à fait ne pas aimer le principe de pudeur religieuse, le principe de religion tout court d’ailleurs, mais utiliser une contrainte étatique étrangère injuste comme principe d’interdiction national n’a pas de sens : c’est ni plus ni moins qu’une instrumentalisation politique … chose dont sont accusés les jeunes et principalement les jeunes filles musulmanes ayant choisi d’être pudiques.

Une autre utilisation du mot « transfert » est celui davantage lié à l’Histoire de notre pays, laquelle est, avant la laïcité, marquée par la sécularisation, qui passe par une émancipation progressive de la tutelle ecclésiale, dans trois champs : le champ intellectuel, le champ politique et le champ moral. Peu à peu, la France sort de la civilisation de chrétienté, d’une manière plus ou moins violente. Puisque le sujet qui nous intéresse ici est l’école, les lois Ferry (1879-1885) systématisèrent l'obligation et la gratuité de l'instruction publique, et instituèrent l'École laïque. La laïcisation toucha les bâtiments : des aménagements financiers permirent rapidement à toutes les communes de bâtir leur école publique, et la laïcisation toucha le personnel enseignant : en obligeant chaque département à disposer d'une école normale pour les garçons, d'une part, et pour les jeunes filles d'autre part, l'État créa un corps d'instituteurs et d'institutrices laïques, ce qui allait permettre, d'ici à la fin du siècle, d'écarter tout congréganiste des écoles publiques, c’est-à-dire les religieux qui avaient pour mission celle d’enseigner. Enfin, les programmes scolaires, tout en maintenant, un temps, « les devoirs envers Dieu » supprimèrent de l'École publique toute formation religieuse liée à un culte particulier.

L'expulsion des congrégations provoque la dispersion de 6 589 religieux en 1880, et la loi du 7 juillet 1904 est promulguée. L'article 1er prévoit : « L'enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations ». Près de 2 000 écoles furent fermées, et des dizaines de milliers de religieux qui avaient fait de l’instruction leur terrain d’action privilégié se trouvaient interdits d’exercer leur profession et confrontés au choix entre reconversion, abandon de l’état régulier, et exil. 30 à 60 000 religieux français partent ainsi fonder des établissements à l’étranger : Belgique, Espagne, Suisse, mais aussi la voie « missionnaire ».[19]

Conclusion

La "modest fashion" révèle les tensions entre tradition religieuse, identité culturelle et modernité. Les débats actuels illustrent la difficulté de la société française à concilier respect des traditions religieuses et principes de laïcité, dans un contexte où le vêtement devient un marqueur identitaire fort. Notre histoire montre une fracture avec le religieux. Une fracture encore ouverte, où les différentes tentatives de réparations restent fragiles puisqu’au lieu de poser un plâtre, les différents quinquennats et ministères arrachent chacun leur tour les anciens pansements pour en mettre de nouveaux.


 

[1] rapport « Luxury goods worldwide market 2018 », réalisé par le cabinet Bain & Company, présenté par la célèbre fondation italienne Altagamma en colloque à Milan. [2] https://www.lesinrocks.com/actu/port-du-voile-comment-nos-politiques-sont-en-train-de-legitimer-un-discours-excluant-185023-16-10-2019/ [3] https://www.lejdd.fr/societe/abaya-foulard-hijab-quest-ce-que-la-modest-fashion-cette-tendance-la-popularite-grandissante-138036 [4] Berakhot 17b, TB Pesahim 54b [5] Tzeniut: A Universal Concept,” in Haham Gaon Memorial Volume, ed. Marc Angel (pp. 151-161). Sepher Hermon Press: Brooklyn, 1997, pp. 151, 152, 157 [6] Le Dr Rabbi Zev Farber est rédacteur en chef du site TheTorah.com et est chercheur au Kogod Center de l'Institut Shalom Hartman (New-York). Il est titulaire d'un doctorat en cultures religieuses juives et en Bible hébraïque de l'Université Emory (Atlanta), d'une maîtrise en histoire juive de l'Université hébraïque (période biblique), et possède son ordination de l'école rabbinique Yeshivat Chovevei Torah (New-York). [7] Ministère de l'Intérieur, « Insécurité et délinquance en 2021 : une première photographie », Interstats,‎ janvier 2022 [8] LETHUILLIER, Jean-Pierre. Introduction. Costumes régionaux, objets d’histoire In : Les costumes régionaux : Entre mémoire et histoire [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009 (généré le 05 septembre 2023). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/99620> [9] Andrew Stewart, Art, Desire and the Body in Ancient Greece, Cambridge, CUP, 1997 ; voir les travaux de Hans Van Wees sur les vêtements et les statuts sociaux chez Homère et à l’époque archaïque : A Brief History of Tears : Gender Differentiation in Archaic Greece, dans Lin Foxhall and John Salmon (eds), Thinking Men : Masculinity and its Self-Representation in the Classical Tradition, Londres-New York, Routledge, 1998, p. 10-53 ; Greek bearing Arms : The State, the Leisure Class and the Display of Weapons in Archaic Greece, dans Nick Fisher, Hans Van Wees (eds), Archaic Greece : New Approaches and New Evidence, Londres-Swansea, Duckworth-Classical Press of Wales, 1998, p. 333-378 ; Clothes, Class and Gender in Homer, dans Douglas L. Cairns (ed.), Body Language in the Greek and Roman Worlds, Swansea, The Classical Press of Wales, 2005, p. 1-36 ; James M. Davidson, Courtesans and Fishcakes : The Consuming Passions of Classical Athens, Londres, Harper Collins, 1997. [10] Bruno Lemaire (4/09/2023), Kahina Bahloul (30/08/2023), Florence Bergeaud-Blackler (4/09/2023) [11] Dominique Gaulme, auteur des Habits du pouvoir. [12] Ehrenberg, 1995, p. 312 [13] Naomi Klein est une journaliste canadienne, diplômée de l'Université de Toronto et de la London School of Economics. Elle est titulaire de la chaire Gloria Steinem en Média, Culture et Études féministes de l'Université Rutgers (New Jersey, Etats-Unis). [14] Klein, No Logo, 2001, pp. 156-157 [15] Miss, Biba, Glamour, Jeune&Jolie. [16] Nabilla Vergara (8,8 millions de followers), Maeva Ghenam (3,3 millions de followers), Mila Jasmine (3,2 millions de followers), Manon Tanti (3 millions de followers), etc. [17] La scène adolescente : les signes d'identité, David Le Breton, dans Adolescence 2005/3 (T. 23 n°3), pages 587 à 602. [18] Lily Chapnik est diplômée de l’Université McGill (Montréal) et s’est spécialisée en études juives. [19] Christian Sorre, La République contre les congrégations - Histoire d'une passion française (1899-1904), Cerf, 2003 ; Jean-Dominique Durand (dir.) et Patrick Cabanel (dir.), Le Grand Exil des congrégations religieuses françaises 1901-1914, Cerf, 2005

2 Comments


mekmag
Sep 20, 2023

Oui, tout est dit! La liberté de porter ce que l'on veut.

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zigoumi
Sep 06, 2023

Baraka Allahou fik! Merci pour cet article de très bonne qualité! ça fait du bien de lire quelque chose d’intelligent et intéressant à ce sujet!

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