La période révolutionnaire constitue l'un des chapitres les plus tumultueux de l'histoire de Notre-Dame de Paris. Ce monument emblématique, qui incarnait depuis des siècles le lien étroit entre l'Église et la monarchie, se retrouva au cœur des bouleversements politiques, sociaux et religieux qui secouèrent la France entre 1789 et 1799¹. À l'aube de la Révolution, Notre-Dame occupait une position centrale, tant géographiquement que symboliquement, dans la vie parisienne. Située au cœur de l'île de la Cité, elle représentait la fusion entre le pouvoir temporel et spirituel, caractéristique de l'Ancien Régime². Les cérémonies officielles qui s'y déroulaient régulièrement renforçaient cette double dimension, faisant de la cathédrale un symbole privilégié des institutions que les révolutionnaires allaient bientôt chercher à renverser.
La déchristianisation : une attaque systématique
La politique de déchristianisation, menée par les révolutionnaires les plus radicaux, frappa Notre-Dame de plein fouet. Dès 1789, l'Assemblée nationale décréta la nationalisation des biens de l'Église³. Le trésor de la cathédrale, riche de siècles d'accumulation d'objets précieux et de reliques, fut saisi et fondu pour renflouer les caisses de l'État. Cette première atteinte fut suivie d'une transformation plus radicale encore en 1793, lorsque l'édifice fut converti en Temple de la Raison⁴.
Le 10 novembre 1793 marqua un tournant symbolique avec la célébration de la fête de la Raison. Une actrice, incarnant la Déesse de la Raison, remplaça les figures traditionnelles du culte catholique. Les statues des apôtres cédèrent leur place à des bustes de philosophes des Lumières, illustrant la volonté révolutionnaire de substituer la raison à la foi⁵.
La fureur iconoclaste (la destruction des images religieuses) atteignit son paroxysme avec la destruction des statues de la galerie des rois. Dans une confusion révélatrice de l'esprit du temps, ces représentations de rois bibliques furent prises pour celles des rois de France et décapitées⁶! Ces têtes, retrouvées fortuitement en 1977, constituent aujourd'hui un témoignage saisissant de cette période tourmentée. Le patrimoine mobilier de la cathédrale ne fut pas épargné : les vitraux furent démontés pour leur plomb, l'orgue partiellement démantelé, et la plupart des cloches fondues pour fabriquer des canons. Seul le bourdon Emmanuel échappa à la destruction, sa fonction civique de célébration des victoires militaires lui assurant une forme de protection⁷.
Le retour à l'ordre religieux s'amorça avec le Concordat de 1802, signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII. Le sacre de Napoléon en 1804 dans la cathédrale marqua symboliquement la fin de la période antireligieuse de la Révolution. Cependant, les séquelles de cette décennie troublée restèrent visibles jusqu'à la grande restauration menée par Viollet-le-Duc au XIXe siècle⁸.
L'histoire de Notre-Dame pendant la Révolution française illustre de manière exemplaire comment un monument peut devenir le théâtre et l'enjeu des bouleversements politiques et sociaux. La cathédrale, successivement lieu de culte catholique, Temple de la Raison et entrepôt, incarne les contradictions et les aspirations d'une époque qui cherchait à redéfinir le rapport entre le sacré et le profane.
Notes
¹ La période révolutionnaire s'étend officiellement de la convocation des États généraux en 1789 jusqu'au coup d'État du 18 brumaire en 1799.
² La position de Notre-Dame sur l'île de la Cité, berceau historique de Paris, en faisait un lieu de rassemblement naturel pour les Parisiens.
³ Le décret de nationalisation des biens du clergé fut adopté le 2 novembre 1789, sur proposition de Talleyrand.
⁴ La transformation en Temple de la Raison s'inscrivait dans le mouvement plus large de déchristianisation, particulièrement intense entre 1793 et 1794.
⁵ L'installation de bustes de philosophes des Lumières témoigne de la volonté de substituer un culte civique rationaliste au christianisme traditionnel.
⁶ Les têtes des rois de la galerie, retrouvées en 1977 lors de travaux rue de la Chaussée-d'Antin, sont aujourd'hui conservées au Musée de Cluny.
⁷ Le bourdon Emmanuel, fondu en 1681, demeure l'une des rares cloches d'origine de la cathédrale.
⁸ La restauration dirigée par Viollet-le-Duc entre 1844 et 1864 redonna à la cathédrale son aspect médiéval, tout en y ajoutant des éléments nouveaux comme la célèbre flèche.
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