Le film "Mary" propose une adaptation de la jeunesse de la Vierge Marie, avec Mila Harris et Noa Cohen dans le rôle-titre et Anthony Hopkins incarnant Hérode. Si la réalisation offre de belles images, le récit prend de nombreuses libertés avec les sources bibliques, puisant à la fois dans les Évangiles canoniques et les textes apocryphes.
L'histoire de Joachim et Anne
L'histoire de Joachim et Anne n'est pas présente dans les Evangiles canoniques (Matthieu, Marc, Luc, Jean). Les parents de Marie n'y sont jamais mentionnés. L'histoire détaillée que nous connaissons de Joachim et Anne vient principalement de deux sources apocryphes (non reconnues par l'Eglise) : le Protévangile de Jacques (datant du IIe siècle), et l'Évangile du Pseudo-Matthieu (datant du VIe-VIIe siècle). Ces textes apocryphes ont eu une influence considérable sur l'art et la tradition chrétienne, notamment puisqu'ils abordent l'histoire de la stérilité d'Anne, l'annonce par l'ange à Joachim de la naissance d'un enfant, la présentation de Marie au Temple et quelques détails concernant leur vie quotidienne (leur piété, la douleur d'Anne de ne pas avoir d'enfants, son rituel de nourrir les oiseaux, la richesse de Joachim, son jeûne de 40 jours dans le désert). Le film Netflix "Mary" s'inspire clairement de ces textes apocryphes plutôt que des sources canoniques pour cette partie de l'histoire.
Culture générale du fait religieux : dans le Coran, la mère de Marie est nommée mais sous le nom de "femme d'Imran" (Imran étant l'équivalent de Joachim). Elle est mentionnée notamment dans la sourate 3. Les commentaires la nomment Hanna. On lit qu'elle a fait le vœu de consacrer son enfant au Temple (sourate 3, verset 35) : "Seigneur, je T'ai voué en toute exclusivité ce qui est dans mon ventre. Accepte-le donc de ma part." tandis que dans le film, c'est Joachim qui fait la promesse. Après la naissance de Marie, elle dit (sourate 3, verset 36) : "Seigneur, j'ai accouché d'une fille... Je l'ai nommée Marie, et je la place, ainsi que sa descendance, sous Ta protection contre le Diable, le banni." Les sources coraniques du hadith mentionnent qu'elle n'a jamais été touchée par le Diable, alors que le film montre plusieurs scènes - soit le Diable la touche, soit elle en fait un cauchemar. Dans tous les cas, il l'atteint par des troubles.
Marie au Temple
Le séjour de Marie au Temple, tel que décrit dans le Protévangile de Jacques (7,2-8:1), constitue un élément fondamental de la tradition mariale primitive. Le texte rapporte qu'à l'âge de trois ans, Marie fut présentée au Temple où elle vécut jusqu'à sa puberté, servant comme une vierge consacrée. Les détails de ses activités quotidiennes sont précisément décrits : elle filait la laine pour le voile du Temple, travaillant spécifiquement avec la pourpre et l'écarlate (8,2). Ce détail textile est significatif car il établit un lien symbolique avec le voile du Temple, élément sacré par excellence. Le film "Mary" s'inspire visiblement de cette tradition (bien qu'elle y aille au delà de l'âge de 3 ans) mais y ajoute la symbolique de la robe rouge, un choix qui, bien qu'absent des textes apocryphes, s'inscrit dans une riche tradition iconographique chrétienne : depuis le Moyen Âge, Marie est souvent représentée vêtue de rouge, symbole de l'Incarnation, ou de bleu, symbole de sa nature céleste. Cette représentation trouve ses racines dans l'art byzantin, où le rouge (πορφύρα / porphyra) était associé à la royauté et au divin. Le film fusionne ainsi habilement les sources textuelles apocryphes avec la tradition iconographique postérieure, créant une représentation visuellement cohérente avec l'héritage culturel chrétien, même si elle s'écarte des sources textuelles primitives.
Culture générale du fait religieux : Marie vit également dans le Temple selon le Coran, mais est sous la garde de Zacharie. Dans le film Netflix, c'est Anne la prophétesse qui la prend sous sa protection. Anne la prophétesse est mentionnée dans l'Évangile de Luc (2,36-38) qui nous dit qu'elle était "fille de Phanuel, de la tribu d'Aser". Elle est décrite comme très âgée (84 ans) et veuve. Elle vivait dans le Temple, servant "nuit et jour dans le jeûne et la prière", ce qui est repris dans le film. En revanche, le Coran (3,37) indique : "Son Seigneur l'agréa de la plus belle acceptation, la fit croître de la plus belle croissance et la confia à Zacharie." Elle est placée dans un endroit spécial et y reçoit miraculeusement de la nourriture ("Chaque fois que Zacharie entrait dans le sanctuaire pour la voir, il trouvait près d'elle de la nourriture.") Le Coran insiste sur sa pureté et sa dévotion dans le Temple, mais ne mentionne pas spécifiquement ses tâches quotidiennes comme le tissage.
L'Annonciation
Les deux traditions, que ce soit la Bible ou le Coran mentionnent plus ou moins le même récit de l'annonciation. Dans l'Évangile de Luc (1,26-38), l'ange Gabriel est envoyé par Dieu à Nazareth, et Marie est explicitement présentée comme "vierge, fiancée à Joseph". L'ange annonce qu'elle concevra un fils nommé Jésus, et Marie accepte : "Je suis la servante du Seigneur". Dans le Coran (sourates 3 et 19), ce sont les anges (au pluriel dans la sourate 3) ou l'Esprit/Gabriel (dans la sourate 19) qui apparaissent. Marie s'est retirée de sa famille vers un lieu oriental, et l'ange se présente sous forme humaine (comme dans le film). L'enfant est décrit comme un signe pour les hommes et une miséricorde. Ces deux récits, bien que distincts dans leur forme, partagent les éléments théologiques essentiels concernant la conception virginale et le rôle de Gabriel comme messager divin.
En revanche, dans le film, la confrontation avec Lucifer est un élément dramatique non biblique ni coranique qui a été ajouté.
Joseph et Marie
La représentation de Joseph dans le film "Mary" illustre parfaitement la tension entre les sources bibliques, les traditions apocryphes et les innovations modernes. L'Évangile selon Matthieu (1,18-25) se concentre sur le dilemme moral de Joseph face à la grossesse inexpliquée de Marie et sa résolution par le songe angélique. (Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous » Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, mais il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils, auquel il donna le nom de Jésus.)
Le Protévangile de Jacques offre un récit plus détaillé de sa sélection comme époux. Selon ce texte apocryphe, Joseph, déjà âgé et veuf, est choisi parmi plusieurs prétendants grâce au signe miraculeux d'une colombe sortant de son bâton. Cette tradition d'un Joseph âgé, solidement ancrée dans l'iconographie chrétienne orientale et occidentale depuis l'époque médiévale, servait notamment à renforcer l'idée de la virginité perpétuelle de Marie.
Le film Netflix bouleverse cette représentation millénaire en présentant un Joseph jeune et vigoureux (la scène dans le lac), interprété par Ido Tako. Ce choix audacieux, bien que s'écartant de la tradition, peut se justifier par l'absence de mention explicite de l'âge de Joseph dans les évangiles canoniques et reflète peut-être une volonté de rendre le personnage plus accessible au public contemporain (qui serait probablement choqué de la différence d'âge), tout en soulignant la dimension humaine et émotionnelle de son combat intérieur face à la situation extraordinaire de Marie.
La Nativité
La représentation de l'accouchement de Marie dans le film Netflix révèle une intéressante convergence avec la tradition islamique plutôt que chrétienne. Dans les Évangiles canoniques (Matthieu 1,18-25, Luc 2,1-7), l'accouchement est mentionné de manière très sobre, sans aucune référence à la douleur : "Elle enfanta son fils premier-né" (Luc 2,7). La tradition catholique, notamment depuis Saint Thomas d'Aquin, insiste sur un enfantement sans douleur, considérant que Marie, ayant conçu sans péché, n'était pas soumise à la malédiction d'Ève (Genèse 3,16 "Tu enfanteras dans la douleur"). En revanche, le Coran offre une description saisissante de l'accouchement de Marie dans la sourate 19, versets 22-23 : "Elle devint enceinte et se retira en un lieu éloigné. Les douleurs de l'enfantement la surprirent près du tronc du palmier. Elle dit : 'Hélas ! Que je fusse morte avant cet instant ! Et que je fusse totalement oubliée !'" Cette description coranique, plus dramatique et humaine, semble avoir inspiré la mise en scène du film, où Marie apparaît vulnérable et soumise aux douleurs naturelles de l'enfantement. Ce choix narratif s'inscrit dans une volonté plus large du film de présenter Marie dans son humanité, même si cela s'écarte de la tradition théologique chrétienne.
Le Massacre des Innocents
Seul l'Évangile de Matthieu (2,16-18) mentionne cet événement : comme dans le film, Hérode ordonne de tuer tous les enfants mâles de moins de 2 ans à Bethléem et la fuite en Égypte de Marie et Joseph est directement liée à ce massacre. Le texte fait référence à une prophétie de Jérémie sur Rachel pleurant ses enfants (Matthieu 2,17-18 : "Alors s'accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète : On a entendu des cris à Rama, des pleurs et de grandes lamentations : Rachel pleure ses enfants, et n'a pas voulu être consolée, parce qu'ils ne sont plus."), que l'on retrouve dans Jérémie 31,15-17 : "Ainsi parle l'Eternel : On entend des cris à Rama, des lamentations, des larmes amères ; Rachel pleure ses enfants ; elle refuse d'être consolée sur ses enfants, car ils ne sont plus." Comment comprendre cela ? Rachel était l'épouse bien-aimée de Jacob, est morte en donnant naissance à Benjamin, près de Bethléem, a été enterrée sur la route d'Ephrata (Bethléem), et dans le texte de Jérémie, Rachel pleure initialement la déportation des Israélites à Babylone. Dans le film "Mary", bien que la référence à Rachel ne soit pas explicite, les scènes de massacre font écho à cette tradition de lamentation maternelle profondément ancrée dans la culture biblique.
Dans le Coran, il n'y a pas de mention du massacre. La fuite de Marie avec Jésus est mentionnée mais différemment (sourate 23,50) : "Et Nous fîmes du fils de Marie, ainsi que de sa mère, un signe (pour les gens), et Nous leur donnâmes refuge sur une colline bien stable et dotée de sources". Elle ne fuit pas avec Joseph, absent du récit coranique, mais avec Jésus.
La Présentation au Temple
La prophétie de Siméon, rapportée uniquement dans l'Évangile de Luc (2,22-35), constitue un moment charnière dans la narration de l'enfance de Jésus et le destin de Marie. Lors de la présentation de Jésus au Temple, conformément à la loi de Moïse, le vieillard Siméon, décrit comme un homme "juste et pieux qui attendait la consolation d'Israël", reconnaît en l'enfant le Messie promis. Sa prophétie comporte deux volets : le premier concerne Jésus, "destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs en Israël, et à devenir un signe qui provoquera la contradiction", tandis que le second s'adresse directement à Marie : "et à toi-même une épée te transpercera l'âme". Cette métaphore de l'épée, interprétée par la tradition chrétienne comme l'annonce des souffrances que Marie endurera en voyant son fils crucifié, a profondément marqué la mariologie et l'iconographie chrétienne, donnant notamment naissance au thème des "Sept Douleurs de Marie". Le film Netflix "Marie" reprend fidèlement cette scène, soulignant son importance dramatique comme présage du destin tragique qui attend la mère et le fils. Quant au Coran, il ne mentionne pas cette prophétie de Siméon.
Le film "Mary" de Netflix s'inscrit dans un contexte historique complexe, principalement documenté par l'historien Flavius Josèphe dans ses "Antiquités judaïques". Le personnage d'Hérode, magistralement interprété par Anthony Hopkins, reflète fidèlement les sources historiques : un roi d'origine iduméenne, donc non-juif, dont le rapport au pouvoir est marqué par la paranoia et la violence. Son conflit avec Aristobule III, dernier grand prêtre hasmonéen, illustre les tensions politico-religieuses de l'époque. Le film prend cependant plusieurs libertés avec les sources historiques et religieuses. Par exemple, l'inclusion des Zélotes constitue un anachronisme notable, car bien que des mouvements de résistance contre Rome existaient à l'époque, le mouvement zélote proprement dit n'apparaît que plus tard dans l'histoire. D'autres divergences significatives parsèment le récit : l'intensification dramatique des persécutions subies par Marie, la mort violente de Joachim (absence totale de sources à ce sujet), la représentation non traditionnelle d'un Joseph jeune (contrairement à la tradition d'un homme âgé), les douleurs de l'enfantement de Marie (contredisant la tradition catholique), et une compression temporelle des événements qui sacrifie la chronologie historique au profit du rythme narratif. Ces choix créatifs, s'ils s'éloignent des sources, servent néanmoins efficacement le développement dramatique de l'histoire. La série prend des libertés créatives significatives tout en s'appuyant sur un mélange de sources canoniques et apocryphes. Elle privilégie une approche dramatique et humaine du personnage de Marie, parfois au détriment de la fidélité historique et théologique.
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