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La maternité dans les religions monothéistes : entre sacré et tradition

Photo du rédacteur: barbara-moullanbarbara-moullan

Dernière mise à jour : 7 déc. 2024

Des origines antiques à la reconnaissance moderne

La célébration de la maternité trouve ses racines dans l'Antiquité. Les Grecs honoraient Rhéa, mère de leurs dieux, particulièrement au printemps[1]. Les Romains, quant à eux, célébraient les Matraliae le 11 juin, près du solstice d'été, en l'honneur de Mater Matuta, déesse de l'aube et de l'enfantement[2]. En France, c'est seulement en 1950 que le président Vincent Auriol officialise la fête des Mères par une loi[3].


La conception et la gestation dans les textes sacrés

Une vision physiologique détaillée

L'islam propose une description précise du développement embryonnaire. Les textes décrivent une formation en trois phases de quarante jours chacune : d'abord la semence (notfa), puis l'adhérence ('alaqa), et enfin le "morceau de chair mâché" (modgha)[4]. Un hadith évoque même un ange chargé de l'utérus, questionnant Allah sur le destin de chaque être en formation[5].

Le judaïsme offre une perspective plus mystique de la vie prénatale. Le Talmud de Babylone décrit le fœtus baigné dans une lumière divine, contemplant le monde entier et recevant l'enseignement de la Torah, avant de l'oublier à la naissance suite à l'intervention d'un ange[6].


La figure maternelle dans les traditions religieuses

Le judaïsme : une vision complexe de la maternité

La première femme, 'Hava (Ève), tire son nom de son rôle de "mère de tout vivant"[7]. Son histoire est marquée par la punition divine : "J'intensifierai ta souffrance et ta grossesse, tu enfanteras dans la douleur"[8]. Les commentateurs, notamment Rav Dessler, interprètent ces difficultés comme une conséquence spirituelle nécessitant un travail de rédemption[9].

La femme juive occupe une position particulière, illustrée par la bénédiction quotidienne "qui m'a faite selon sa volonté", reconnaissant leur proximité naturelle avec le divin. Cette idée est renforcée par le proverbe "une femme vertueuse couronne de son mari"[10], et expliquée par le Maharal de Prague qui affirme que les femmes sont "par nature plus proches d'Hachem"[11].

La transmission de la judéité par la mère (matrilinéarité)[12] souligne l'importance fondamentale du rôle maternel dans cette tradition.


L'islam : honneur et respect dus à la mère

La notion de mère (Umm) est si fondamentale qu'elle est parfois associée au concept d'Umma, la communauté religieuse[14]. Le Coran place le respect des parents immédiatement après l'adoration d'Allah[13], faisant écho au commandement biblique d'honorer ses parents[15]. Les commentateurs soulignent que la piété filiale peut même prolonger la vie[16][17].


Le christianisme : l'amour maternel comme devoir spirituel

Le christianisme définit précisément les devoirs maternels. L'épître à Tite emploie le terme grec phileoteknos pour décrire l'amour maternel, impliquant un soin tendre et attentif envers les enfants. Cette conception s'inscrit dans une vision où les enfants sont considérés comme un don divin (Psaume 127.3-5).

La figure de Marie occupe une place centrale, particulièrement dans le catholicisme où elle est vénérée comme "Théotokos" (qui a enfanté Dieu), un titre officialisé au Concile d'Ephèse en 431. Cette conception contraste nettement avec l'islam, qui rejette explicitement l'idée qu'Allah puisse avoir engendré ou été engendré[13].


Les épreuves de la maternité : une perspective divine

La volonté divine dans la procréation

Les textes sacrés soulignent unanimement que la maternité s'inscrit dans le plan divin. La Torah illustre cette idée dès la naissance de Caïn, où Ève déclare : "J'ai fait naître un homme, conjointement avec l'Éternel" (Genèse 4, 1). Cette intervention divine se manifeste particulièrement dans les cas de stérilité miraculeusement résolue, comme pour Sarah, Rébecca, et Anne.


Le paradoxe de la stérilité dans les textes sacrés

Les récits de femmes stériles occupent une place prépondérante dans les textes religieux, servant à illustrer la puissance divine. Ces histoires culminent dans la prophétie d'Isaïe : "Crie de joie, femme stérile, toi qui n'as pas enfanté"[20], transformant l'épreuve en promesse de bénédiction.


Les mères exemplaires

Marie, mère du Messie

La conception virginale de Marie, prophétisée dans Isaïe 7,14, fait l'objet d'interprétations variées. Le terme hébreu 'almah, désignant une "jeune femme", a été traduit par parthenos (vierge) dans la Septante, influençant la tradition chrétienne[22][23]. Le Coran offre une perspective unique sur son accouchement, décrivant sa détresse profonde[24].


La mère adoptive de Moïse

Les traditions divergent sur l'identité de celle qui sauva Moïse : la Torah évoque la fille de Pharaon (Exode 2-10), tandis que le Coran attribue ce rôle à son épouse. Dans la tradition islamique, Assia, femme de Pharaon, compte parmi les "meilleures femmes du paradis"[25].


Une réflexion moderne sur la maternité

La question de la stérilité, traditionnellement attribuée aux femmes dans les textes anciens[28], révèle les limites des connaissances médicales de l'époque. Le Deutéronome offre une perspective nuancée en n'incluant pas la stérilité dans sa liste de malédictions, suggérant une compréhension plus complexe de ce phénomène.


Conclusion

Les traditions monothéistes, malgré leurs différences d'approche, convergent dans leur valorisation de la maternité comme expérience sacrée. Qu'il s'agisse de la transmission religieuse, de l'éducation des enfants ou du respect dû aux mères, ces textes anciens continuent d'influencer la perception moderne de la maternité, tout en soulevant des questions sur la place des femmes dans les sociétés contemporaines.

 

 

NOTES


[1] Grimal Pierre, La mythologie grecque. Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2003, 128 pages.

[2] Galinier Martin, « Mythe et images. Georges Dumézil au miroir de l'histoire de l'art », Revue historique, 2005/1 (n° 633), pp. 3-29

[3] Loi n°50-577 du 24 mai 1950 CELEBRATION DE LA FETE DES MERES : LE DERNIER DIMANCHE DE MAI JORF du

25 mai 1950

[4] Tafsir Ibn Kathir, tome 5, commentaire du verset 8 de la sourate 13, editions Daroussalam, 2010, page 249

[5] Sahih al-Bukhari 6595

[6] traité Nida 30

[7] Genèse 3,20

[8] Genèse 3,16

[9] Mikhtav Méeliahou du Rav Dessler tome 1, page 112, et tome 2, page 138

[10] Michlé 12, 4

[11] Talmud Traité Kidouchin 30b

[12] Atlan Gabrielle, « Le statut juridique de l'enfant dans la Loi juive. Journée d'études Liberté religieuse de l'enfant : Égalité ou différence de traitement ? La question particulière des discriminations au regard de la liberté religieuse de l'enfant, Maison Interuniversitai », Société, droit et religion, 2013/1 (Numéro 3), p. 195- 208.

[13] Coran 112,3

[14] Mohamed-Chérif Ferjani. A propos de la notion de ’umma (oumma) : les maux d’un mot. Rémi Giraud, Sylvianne; Rétat, Pierre. Les mots de la nation, Presses universitaires de Lyon, 1996.

[15] Exode 20,12

[16] Le hadith est également rapporté par An Nasai et Ibn Maja. Ibn Kathir cite en source Ahmad 5/277 et Ibn Maja 90

[17] Sahih muslim, tome 6 des éditions Al hadith en 6 tomes, dans le livre de la bienfaisance, des liens de parenté et des bienséances, chapitre 6 du maintien des liens de parenté et de l’interdiction de les rompre, hadith n° 2557

[18] Ephésiens 6:1-3

[19] Genèse 30,1

[20] Isaie 54, 1

[21] Al-Bukhari 5971

[22] G. BRUNET, Essai sur l’Isaïe de l’histoire, Paris, éd. A. & J. Picard, 1975, p. 55-77

[23] Radermakers Jean, « La mère de l’Emmanuel », Nouvelle revue théologique, 2006/4 (Tome 128), p. 529-545  

[24] 19,23 Puis les douleurs de l'enfantement l'amenèrent au tronc du palmier, et elle dit: « Malheur à moi ! Que je fusse morte avant cet instant ! Et que je fusse totalement oubliée ! »

[25] (Rapporté par Ahmed et authentifié par l'imam Nawawi dans Tahdhib Al Asma Wal Loughat 2/341 et par Cheikh Albani dans Silsila Sahiha n°1508)

[26] Ibn Kathir, Histoires des prophètes, page 329

[27] Sahih de Boukhari, vol. 5. Livre 62

[28] Lydie Bodiou, Pierre Brulé et Laurence PIERINI, « En Grèce antique, la douloureuse obligation de la maternité », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 21 | 2005, 21 | 2005, 17-42.

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