Laïcité et émissions religieuses
- barbara-moullan
- 24 mars
- 4 min de lecture
Hier, nous entamions une discussion un peu houleuse concernant une réponse à un commentaire à propos des émissions religieuses diffusées sur France 2.
Le commentaire indiquait "ça crie à la laïcité dès que ça voit une femme qui porte le hijab mais par contre on vous voit pas vous offusquer quand la messe est diffusée sur France 2".
L’émission dont l’internaute parle s’appelle : Le jour du Seigneur et est diffusée sur France 2, chaîne de télévision généraliste de service public. Comment cela se fait-il que la messe soit diffusée sur France 2 ?
Depuis la loi Léotard sur la liberté de la communication de 1986, programmer des émissions religieuses est une mission du service public. L’article 56 dispose que “France Télévisions programme le dimanche matin des émissions à caractère religieux consacrées aux principaux cultes pratiqués en France”.
Chaque dimanche matin, France 2 diffuse un ensemble d’émission consacrées aux religions.
Cela démarre à 8h30 avec Sagesses bouddhistes, programme d’un quart d’heure, suivi d’Islam, une émission de 30 minutes, et de à l’origine, programme de 15 minutes sur le judaïsme. De 9h30 à 10h, une émission consacrée à l’Orthodoxie est diffusée, suivie de 10h à 10h30, par Présence protestante, un programme de 30 minutes. Enfin, à 10h30 débute Le Jour du Seigneur, émission qui retransmet la messe en direct à partir 10h45. Ces programmes réunissent en moyenne 8,5 % de part d’audience.
Bon à savoir : le coût financier de ces émissions s’élève à environ 10 millions d’euros, et est pris en charge par France Télévisions. Il est réparti entre les différents cultes en tenant compte, notamment, de leur représentativité respective.
Historique :
À partir de 1927, la station Radio-Paris retransmet les conférences de Notre-Dame et diffuse chaque dimanche 20 minutes de prédication catholique, appelée la « causerie religieuse ». Au 1er janvier 1934, suite à la décision du gouvernement français de racheter Radio-Paris afin d’en faire une radio nationale publique, les émissions religieuses sont supprimées au nom de la neutralité de l’État malgré les critiques rejetant un « laïcisme outrancier".
En 1935, une campagne est menée par des auditeurs et des personnalités de confession catholique auprès du ministre des PTT pour la diffusion d’une messe hebdomadaire. Mais la radio d’État résiste au motif que l’expression religieuse à la radio doit être soumise aux principes de laïcité et de neutralité.
Les dominicains (un ordre religieux catholique) organisent alors une campagne de communication et obtiennent ainsi à la Pentecôte 1938 que Radio-37, nouvelle radio privée en quête d’audience, diffuse en direct la messe.
En contexte de guerre, dès octobre 1944, la messe est diffusée sur les antennes et des programmes spéciaux ont lieu pour les événements catholiques.
En 1948 est diffusé le premier direct extérieur de la télévision française : il s’agit la messe de Noël en direct de la cathédrale Notre-Dame, la première messe télévisée au monde. Quant au premier discours à la télévision française, c’est celui du Pape Pie XII, diffusé le 17 avril 1949.
À partir du 9 octobre 1949, la télévision française émet 17 heures de programme par semaine. Parmi celles-ci : une heure et demie de programmes religieux catholiques, soit 9 % du temps d’antenne.
Puis, dans les années 1950, dans une télévision française naissante, les premiers programmes de télévision accordent sans tarder une place et une attention particulières aux émissions à caractère religieux. « Grâce à la Télévision, qui apporte un spectacle complet, maintenant, à domicile, nous pouvons apporter la satisfaction de ces besoins intellectuels et spirituels, qui ne sont plus réservés ainsi aux classes riches, aux classes aisées, comme c’était le cas jusqu’à maintenant. C’est en cela que nous sommes un service, et un service public. » (stage international des réalisateurs, 21/10/1957. Fonds J. d’Arcy)
Le débat autour de la compatibilité des émissions religieuses avec le principe de laïcité reprendra après que la RTF, le 5 décembre 1954, décide de diffuser tous les dimanches à la télévision Le Jour du Seigneur, un magazine et une messe catholiques en direct.
En l’absence de cadre légal, au nom du principe de neutralité du service public mais aussi pour faire taire les critiques, les responsables proposent au président de la Fédération protestante de France une émission « Présence protestante » dès 1955 dans la grille des programmes. D’autres religions et courants spirituels suivront : La Source de vie (judaïsme, 1962), Orthodoxie (1963), Foi et traditions des chrétiens orientaux (1965), rejoints par l’Islam (1983) et le Bouddhisme (1996).
Il faut attendre la loi du 7 août 1974 pour que soit consacré un « égal accès à l’expression des principales tendances de pensée et des grands courants de l’opinion ». Plus tard, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit et encadre juridiquement la programmation des émissions religieuses, que l’on a mentionné dans la slide n°2.
La diffusion de programmes religieux est donc rendue possible en droit français par une interprétation du principe de neutralité du service public audiovisuel : l’idée est que le pluralisme dans le contenu de l’audiovisuel public est une garantie de cette neutralité.
La loi prévoit les émissions religieuses, sur la base de la Constitution, et cela sans que puisse être opposée la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. En effet, les programmes à caractère religieux à la télévision publique participent à la formation des divers courants d’opinions des citoyens, et revêtent ainsi le caractère d’une mission de service public.
En 1980, Le Conseil d’État a rejeté une demande tendant à bénéficier d’un même espace d’expression au bénéfice des athées, en jugeant que le principe d’égalité de traitement des grands courants d’opinion « ne fait pas obstacle à ce que des émissions particulières soient consacrées à l’expression de certaines formes de pensée et de croyance ».
Comments