LA REGLE GENERALE : PAS DE CIMETIERES CONFESSIONNELS EN FRANCE
«La présence de carrés confessionnels dans les cimetières n'est pas inscrite dans la loi française, puisque les lieux d'inhumation sont placés sous le coup de la loi de 1905 séparant l'Eglise et l'Etat. De ce fait, la ville n'a aucune obligation en termes de nombre de places accordées en carrés confessionnels. Il s'agit simplement d'une tolérance que les maires accordent.»
Conformément à l’article L.2223-1, la création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière sont décidés par le conseil municipal (composé du maire, des adjoints au maire et des conseillers municipaux – une élection qui se déroule tous les 6 ans et les dernières élections se sont déroulées en 2020 affichant 58,4 % d'abstention[1].
Toutefois, dans les communes urbaines et à l’intérieur des périmètres d’agglomération, la création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière à moins de 35 mètres des habitations sont autorisés par arrêté du préfet, pris après une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement et avis de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques.
Depuis le mois de juin, il ressort dans la presse que la plus haute des juridictions de l'ordre administratif français, examine une requête en annulation de deux chapitres d’une circulaire du 19 février 2008, relative à l’aménagement des cimetières et aux regroupements confessionnels des sépultures, suite à une saisie d’un ancien élu de Savoie sur la question.
Que dire des carrés confessionnels ?
Tout d’abord, les cimetières sont des éléments du domaine public communal, et sont soumis au pouvoir de police du maire et sont le siège d’un service public communal. Le principe de laïcité s’applique donc à la gestion de ce service. Il faut donc, en vertu de ce principe de laïcité, concilier à la fois la neutralité, la liberté religieuse et la diversité des cultes.
HISTOIRE
Le mot cimetière, dont l'étymologie remonte au bas-latin cimiterium lui-même issu du latin classique coemeterium, ce mot venant du grec ancien κοιμητήριον, koimêtêrion (« lieu pour dormir, dortoir »), appartient jusqu'au XVe siècle au langage des clercs pour désigner l'aire d'inhumation collective où gisent et dorment les morts dans l'attente de leur résurrection chrétienne.
D’abord propriété de l’Eglise, les cimetières étaient à côté de l’église. Mais d’abord pour des raisons hygiéniques, ils ont été déplacés plus loin des villes au XVIIIè siècle[2].
En effet, la loi du 10 mars 1776 met fin à l’inhumation dans et autour les églises, et on translate les cimetières en dehors de l’enceinte de la ville. Puis, plus tard, avec la Déchristianisation du pays suite à la Révolution française, la propriété des cimetières paroissiaux est obtenue par la commune : le cimetière municipal devient public.
Avec le Concordat, un décret du 23 prairial an XII sur les sépultures (12 juin 1804) prescrit de procéder aux inhumations dans des fosses individuelles et système des concessions. Ce décret prescrit aux communes d’affecter un terrain à chaque culte professé (art 15 du décret).
D’après ce décret, la commune affecte un terrain au protestants et juifs, ou bien de séparer le cimetière avec des fossés et des haies et chaque culte a son entrée. En réalité ce décret a été très peu appliqué pour des raisons de sociologie religieuse (les protestants étaient peu nombreux, les cimetières étaient essentiellement catholiques). Les cimetières étaient bénis entièrement par le catholicisme et donc il y avait des refus d’inhumation.
Après 1804, l’œuvre législative se compose en matière funéraire de trois textes :
Le principe de neutralité des cimetières a été consacré par la loi du 14 novembre 1881 qui interdit dans les cimetières communaux d’établir une séparation à raison de la différence des cultes. Elle interdit les divisions confessionnelles et déclare tous les cimetières « interconfessionnels ». Elle prévoit expressément que tout regroupement par confession sous la forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière est interdit. La loi de 1881 a abrogé l’article 15 du décret du 23 prairial An XII qui prévoyait l’obligation pour les communes de réserver dans les cimetières une surface proportionnelle aux effectifs de fidèles des différents cultes et faisait obligation aux familles de déclarer le culte du défunt. La loi de 1881 a imposé au maire de ne plus établir de distinction entre les croyances et les cultes des défunts, dans l’exercice de son pouvoir de police des funérailles.
La loi municipale du 5 avril 1884, qui attribue la police des cimetières aux maires de la commune, et qui est venue la renforcer en interdisant toute attitude discriminatoire fondée sur la croyance ou l’absence de croyance religieuse.
La loi du 15 novembre 1887, qui pose le principe de liberté des funérailles.
Aujourd’hui ce droit s’applique encore.
Ces dispositions se trouvent aujourd’hui dans le code des collectivités territoriales et dans les dispositions relatives aux services communaux dont les cimetières.
Un nouveau volet arrive avec la loi de 1905, qui ne traite les cimetières qu’à travers les signes religieux. L’article 28 de la loi de 1905 dit : Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
Il y a eu un peu de jurisprudence au travers des monuments funéraires. Aristide Briand disait « le cimetière doit rester au point de vue confessionnel, totalement neutre, mais il y a une liberté en ce qui concerne les sépultures. »
Les règles constituant le principe de neutralité des cimetières ne s'opposent pas à la liberté de religion des titulaires de concessions funéraires et de leurs familles :
- les signes et emblèmes religieux sont autorisés sur les sépultures , l' article L. 2223-12 du code général des collectivités territoriales disposant que « tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d'un parent ou d'un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture »
- le principe de liberté des funérailles posé par la loi du 15 novembre 1887 trouve son prolongement dans la règle posée à l' article L. 2213-11 du code général des collectivités territoriales , selon laquelle : « il est procédé aux cérémonies conformément aux coutumes et suivant les différents cultes ; il est libre aux familles d'en régler la dépense selon leurs moyens et facultés ».
Les restrictions à ces principes susceptibles d'être apportées par le maire ne peuvent être fondées que sur des considérations tirées de la protection de la décence, de la sûreté, de la tranquillité ou de la salubrité publiques .
Ne peuvent être ainsi autorisées, comme le veulent les traditions juives et musulmanes, l'inhumation en pleine terre et sans cercueil.
En revanche, la famille peut librement décider de la position du défunt et de l'emplacement d'une éventuelle stèle sur la sépulture ou de l'aspect extérieur de celle-ci, « sous la seule réserve que le parti pris ne soit pas choquant pour les autres familles et, ainsi, de nature à provoquer des troubles à l'ordre public . »
LES CARRES CONFESSIONNELS : UNE DEROGATION
Les carrés confessionnels : cela désigne en pratique le regroupement de sépultures dans un même espace du cimetière public en fonction de la religion des défunts.
La création de carrés confessionnels est actuellement laissée à la libre appréciation du maire , au titre de son pouvoir de fixer l'endroit affecté à chaque tombe dans les cimetières. En effet, aujourd’hui, les carrés n’ont aucune existence légale. Elle est revendiquée par certaines familles, notamment de confession israélite ou musulmane, encouragée par les pouvoirs publics mais placée dans une situation de relative insécurité juridique.
Devant l’interdiction républicaine de créer des cimetières purement confessionnels, les revendications des communautés religieuses ont été orientées vers la demande de création ou d’instauration de carrés confessionnels dans les cimetières.
La Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par M. Bernard Stasi, avait indiqué dans son rapport remis en décembre 2003 au Président de la République que : « La laïcité ne peut servir d'alibi aux autorités municipales pour refuser que des tombes soient orientées dans les cimetières[3]. »
Malgré l’interdiction légale posée dans le texte du 14 novembre 1881, le développement des carrés confessionnels dans les cimetières publics n’a fait que prendre de l’ampleur et, à défaut d’obtenir une consécration législative, est devenu néanmoins un phénomène quasi banalisé, encouragé par trois circulaires du ministère de l’Intérieur en dates des 28 novembre 1975, 14 février 1991, et plus récemment du 19 février 2008.
« Pour répondre favorablement aux familles souhaitant que leurs défunts reposent auprès de coreligionnaires, je vous demande d’encourager les maires à favoriser, en fonction des demandes, l'existence d'espaces regroupant les défunts de même confession, en prenant soin de respecter le principe de neutralité des parties communes du cimetière ainsi que le principe de liberté de croyance individuelle », y signifiait alors Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur de l’époque, à l’adresse des préfets. Elle ajoutait : « Par dérogation au droit commun (inhumation dans les cimetières communaux), il existe encore quelques cimetières confessionnels privés, survivance du passé ».
D’ailleurs, Marcel Girardin, ancien conseiller municipal (SE) de Voglans, avait saisi la justice pour contester deux chapitres d'une circulaire datant du 19 février 2008 traitant de la police des funérailles et des cimetières. Il y dénonçait une forme de séparatisme religieux dans les cimetières, en justifiant : « À l’occasion d’un article sur l’inhumation d’un réfugié syrien, en 2018, dans le carré musulman du cimetière de Chambéry, j’ai fait des recherches. Je suis tombé sur une circulaire de 2008, où la ministre de l’Intérieur [Michèle Alliot-Marie à l’époque] demandait aux préfets d’encourager les maires à favoriser la création de carrés confessionnels, au motif, notamment, de prétendus accommodements raisonnables. » L’objectif de cette démarche était de « favoriser l’intégration des familles issues de l’immigration. » Pour l’ex-élu, ce texte, qui n'est pourtant pas contraignant, relevait d’une « vision religieuse ségrégationniste et discriminatoire (et) porte atteinte aux principes essentiels de neutralité laïque et d’égalité devant la loi que prône la République française ».
Par une décision rendue publique le 15 juillet 2022, le Conseil d’État a signifié à Marcel Girardin qu’il ne prendrait pas en compte sa requête contestant la présence de carrés musulmans dans les cimetières de France. « Ni la qualité de citoyen invoquée par le requérant ni celle d’ancien adjoint au maire de sa commune de résidence, ni la circonstance qu’il se dise attaché à la neutralité des cimetières ne suffisent à lui donner intérêt à demander l’annulation des dispositions critiquées de la circulaire contestée. Par suite, sa requête qui est irrecevable, doit être rejetée », a indiqué la juridiction administrative. En indiquant qu’un simple citoyen ne peut demander la suppression d’un carré musulman au nom d'un attachement « à la neutralité des cimetières », le Conseil d’État évite la multiplication de telles demandes dans les années à venir.
A SAVOIR
Le premier carré musulman a ouvert en 1857 à Paris, au Père-Lachaise. Aujourd’hui, le nombre de carrés musulmans varie selon les sources : sur les 35 000 cimetières que compte le pays, ils seraient environ 300 selon le Conseil français du culte musulman (CFCM), tandis que la plateforme L.E.S. Musulmans n’en recensait en 2020 que 205.
Le premier cimetière public musulman de France a été inauguré à Strasbourg 6 février 2012. Cela s’explique par le fait que l'Alsace et la Moselle échappent à la loi 1905 grâce au droit local. En effet, les maires des communes ayant, nous l’avons vu, le monopole de la gestion des cimetières, aucune association ne peut donc construire ou gérer son propre cimetière.
La solution des cimetières privés est impossible : crée par le décret présidentiel du 4 juillet 1934 sur un terrain appartenant à l'Hôpital franco-musulman de Bobigny, aujourd'hui Hôpital Avicenne, le cimetière privé de Bobigny était à l'origine, réservé aux personnes musulmanes décédées dans cet hôpital. Passée sous l'égide de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en 1962, le cimetière, mal entretenu, finit par être confié en 1996 à l'intercommunalité des villes d'Aubervilliers, La Courneuve, Drancy et Bobigny. Il perd alors son statut privé et devient formellement le carré musulman de ce regroupement de communes. Si il y a des cimetières privés juifs, c'est parce que les consistoires israélites ont conservé la propriété des cimetières dont ils disposaient avant l’entrée en vigueur du décret du 23 prairial an XII, le décret du 10 février 1806 déclarant certaines dispositions du décret précité non applicables aux personnes de confession israélite et les autorisant à conserver leurs cimetières privés gérés par des associations cultuelles. Il existe également, pour les mêmes raisons, quelques cimetières protestants privés. Leur légalité a été confirmée par le Conseil d’État (CE, 13 mai 1964, Éberstarck).
Mais depuis 1971, il est interdit de construire de nouveaux cimetières privés, et d'agrandir les existants.
UNE SITUATION CRITIQUE
Une situation critique puisque l’évolution de la société musulmane française fait que de moins en moins de rapatriements sont organisés : les musulmans naissent désormais en France, il y a de nombreux « convertis » qui n’ont pas d’autres pays d’origine que la France, et souhaitent donc être enterrés chez eux. Le manque de place a été critiqué lors de l’épidémie du COVID-19, mais depuis, la législation traine à évoluer.
Ce sont des sujets à prendre en compte pour les prochaines élections municipales qui se dérouleront en 2026.
NOTES
[1] Abstention aux municipales 2020 : qui sont les maires les mieux et les plus mal élus ? (lemonde.fr)
[2] Thomas Fouilleron, « La représentation des espaces révolutionnaires : Menton en 1848 », dans Jean-Luc Fray et Céline Pérol (dir.), L'historien en quête d'espaces, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. « Histoires croisées », 2004 (ISBN 2-84516-255-3), p. 129
[3] Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République - Rapport remis le 11 décembre 2003 au Président de la République - page 65.
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