top of page

Évolution du jeûne du Carême : Entre tradition, adaptation et spiritualité

Photo du rédacteur: barbara-moullanbarbara-moullan

La culture populaire religieuse associe le jeûne à un moment de privation, d'abstinence totale de nourriture et de boisson. Et l'on entend quelques fois : le Carême, c'est le Ramadan des chrétiens. Ou l'inverse. Mais le jeûne du Carême a évolué avec le temps, les conciles et la société. Je vous invite à le découvrir ici.

 



Il faut savoir qu'au XVIIIè siècle, les fidèles étaient encore astreints au jeûne, mais qu'il n'en est plus de même au XIXè siècle[1].


On remarque que les règles du jeûne ont été atténuées entre le concile de Nicée (325) et le concile de Constance (1414-1418), menant h une tendance lourde au rejet du jeûne dans le catholicisme latin. Cela s'est traduit par des aménagements au Vile siècle, pour les travailleurs et les personnes fragiles, l'unique repas peut comporter vin, laitages et poisson, et, avec dispense, oeufs.

 

Au IXe siècle, l'heure du repas est avancée de la prière de vêpres (le soir) à la prière de none (vers 15h), puis, au XIIIe siècle, à la prière de sexte (vers midi). Est aussi tolérée l'alimentation avant ou après l'unique repas. Au XlIe siècle, on peut prendre une boisson. Au XIIIe siècle, il devient possible d'ajouter au liquide des friandises et des fruits confits. Le XVe siècle voit l'autorisation d'un repas léger le soir (des herbes assaisonnées à l'huile, avec du pain et du vin)[2].


À l'époque moderne, pour les fidèles de 21 à 60 ans, l'usage consiste à manger un frustulum (une bouchée de nourriture liquide, friandise et 60 grammes de pain) le matin, un repas sans viande le midi et une collation (250 grammes de poisson, laitages, herbes, pain) le soir. Mais, en cas de mendicité, pauvreté, maladie, fatigue, travail, voyages, une dispense peut être demandée, h condition de compenser ce jeûne manqué par une aumône.


Au XIXe siècle, l'usage en est bien établi. À Rome, pour le carême, Pie X a autorisé la viande une fois par jour et l'assaisonnement des légumes de la collation aux matières grasses animales, sauf le mercredi des cendres, les vendredis et samedis et les trois derniers jours de la semaine sainte. En 1904, par le biais de l'archevêque de Paris François Marie Benjamin Richard de La Vergne, les jours de jeûne et de maigres sont réduits aux mercredis, vendredis et samedis de carême[3].


Le code de droit canonique (la loi religieuse catholique) de 1917 prescrit à tous les fidèles âgés de plus de 7 ans l'abstinence de viande les vendredis, et à ceux âgés de plus de 21 ans le jeûne avec abstinence le Mercredi des Cendres, ainsi que les vendredis et samedis de carême. Pour assister à la messe, les fidèles doivent être à jeun depuis minuit, de même que le prêtre pour célébrer la messe[4].


En 1967, la constitution apostolique (loi que le pape promulgue au titre de son autorité) nommée Poenitemini prescrit le jeûne le Mercredi des Cendres et le Vendredi Saint, et l'abstinence le Mercredi des Cendres, les vendredis de Carême et le Vendredi Saint.

Pour rappel, dans le contexte du Carême catholique, le jeûne est la réduction de la quantité normale de nourriture pendant le Carême. L'abstinence est l'omission de la consommation de viande et d'autres produits carnés, à l'exception du poisson, pendant le Carême. L'abstinence est pratiquée par les catholiques dès l'âge de 14 ans tandis que le jeûne est pratiqué par les catholiques âgés de 18 à 59 ans[5].


Cet allègement aboutit à ce que les fidèles déterminent eux-mêmes leur pratique pénitentielle (abstinence d'alcool, de tabac, visite aux malades...).

Par exemple, en 1964, Paul VI permet aux évêques de réduire le jeûne à une heure avant la communion, sans distinction de nourriture solide et liquide, discipline reprise par le Code de droit canonique de 1983[6]. Pour les personnes âgées, les malades et les personnes qui les soignent, ce délai est diminué à un quart d'heure en 1973, puis supprimé en 1983.


C'est un changement de perspective spirituelle qui se produit, bien représenté par le P. André Polaert dans son livre Carême, route de Pâques (1963) : Le carême ne doit plus être une «  sainte tristesse », une période de « componction » pour « gémir avec l'Église sur la Passion du Christ », marquée par la « privation d'une joie légitime » et la « mortification ». Alors que le «  Carême apparaît à beaucoup de chrétiens contemporains comme une période de tristesse el de deuil sous une pluie de cendres », il faut lui ôter toute « apparence négative et rébarbative » au profit d'une « altitude positive et joyeuse de don de soi généreux, d'action ensemble ».


C'est ainsi que l'appel à la conscience individuelle remplace les prescriptions précises de 1961 à 1965, l'essentiel étant posé dès 1961 « le carême est le temps des sacrifices volontairement consentis, des restrictions spontanées apportées aux plaisirs même légitimes. Le jeûne et l'abstinence imposés le mercredi des cendres et le vendredi saint ne sont qu'un rappel ; il appartient à chacun de s'imposer spécialement au cours du Carême, les mortifications nécessaires pour ses fautes et s'assurer la maîtrise de ses passions ».[7] 


Mais aujourd'hui, on remarque sur les réseaux sociaux que des chrétiens se réapproprient alors le jeûne. Les catholiques, par exemple, repostent les messages de carême de Benoît XVI qui, spécialement en 2009, étudie le sens du jeûne[8]. Il y rappelle, à la suite de saint Basile de Césarée, les fondements bibliques du jeûne : l'interdit sur le fruit de l'arbre de la connaissance est une loi de jeûne et d'abstinence, offert après le péché originel comme « un moyen pour renouer notre amitié avec Dieu ». Dans le Nouveau Testament, Jésus « met en lumière la raison profonde du jeûne » : « manger la vraie nourriture », qui consiste à faire la Volonté du Père.


En 2005, pour leur message de carême, les évêques de France mentionnent la trilogie traditionnelle, jeûne, prière, aumône, présentant la privation de nourriture essentiellement comme moyen d'impliquer dans le carême l'homme avec son corps.[9]

 


 

NOTES


[1] jJean-Francois Galinier-Pallerola « peut on manger avec plaisir et sans péché ?La gourmandise dans les sermons catholiques franças du XVIIIès », Lumières, n°11 « l gourmandise entre péché et plaisir » premier semestre 2008, p47-56

[2] M. Théron, « Jeûne », Catholicisme, hier, aujourd’hui, demain. Gerard Jacquemet (dir.), t.6, Paris, Letouzey et Ané, 1967, c.835-850, Raoul Naz, « Jeûne » et André Bride, « jeûne eucharistique », Dictionnaire de droit canonique

[3] Elphège Vancadard, « Carême », Dictionnaire de théologie catholique, Albert Vacant (dir) puis Eugene Mangenos, Paris, Letouzey et Ané, t2, 1905, c1724-1750

[4] Code de droit canonique Canons n°808 et 858

[5] Code de droit canonique Canons n°1249, n°1250 et 1252

[6] Code de droit canonique, Canon n°919, 1

[7] Luc Perrin, « Jeûne, abstinence et modernité », Résurrection, « l’amour de l’observance » n71 août-septembre 1997, p113-120 (url : http://www.revue-ressurection.org/jeune-abstinence-et-modernité

[9] Quand le carême se fait moins sévère et plus spirituel, croire, 02/2005

Comments


bottom of page